L’actualité des valeurs hindoues face à une société marquée par le stress – [sommaire]
Conférence donnée à Londres
par Swami Nirliptananda,
Le stress est actuellement la chose la mieux partagée. Il ne s'agit pas là d'un thème philosophique très profond et pourtant, ses implications sont très profondes. Dans la société moderne, le stress affecte chacun d'entre nous, et c'est un mal qui menace notre vie à un stade très précoce. Il peut provoquer une forme de souffrance qui nous empêche de prendre conscience – à travers notre vécu – du sens et du but ultime de la vie. Dès l'instant où le stress s'empare de nous, un certain nombre de phénomènes se produisent dont le plus important est un changement du rythme de notre respiration, lequel provoque dans notre organisme un certain nombre de problèmes.
Dans les Upanishads, nos rishis ont su montrer le rôle déterminant de notre constitution physiologique dans l'équilibre global de l'être, décrivant comment notre corps physique, mental et spirituel, autrement dit comment nos différents sens sont reliés les uns aux autres et interdépendants. Ils ont montré aussi leurs différentes fonctions, et plus particulièrement leur capacité à coordonner notre conscience pour nous permettre de comprendre et de gérer les multiples conflits qui nous travaillent, afin que nous puissions connaître en ce monde une grande paix, une grande harmonie, un grand bonheur. Car au fond, ce monde est un lieu de bonheur, et il y a en nous un océan de félicité, de bonheur. Malheureusement, l'homme souffre parce qu'il ne parvient pas à comprendre et à gérer ses conflits intérieurs. Cette incapacité est en fait liée à un manque de maîtrise de soi.
L'importance de la respiration
Les Upanishads racontent qu'un jour, les sens se sont disputés, chacun prétendant être supérieur aux autres. Ainsi, la vue dit aux autres sens : « Je vais quitter ce corps, nous verrons bien ce qui se passera ! » Puis, de retour, elle s'enquit : « Comment vous en êtes-vous tirés ? » – « Tout s'est bien passé, sauf que nous étions plongés dans l'obscurité ; nous ne pouvions rien voir », répondirent-ils. Alors, les sens de l'ouïe, du goût, de l'odorat et du toucher firent de même. Lorsque le sens du goût s'en allait, la nourriture était fade ; le monde entier devenait silencieux quand l'ouïe n'était pas là et en l'absence d'odorat, point d'odeur. Ainsi, sans les sens, il semblait que le monde cessait d'exister et avec eux, il existait sous une forme ou sous une autre. Le souffle – prana – dit alors : « Maintenant, c'est moi qui m'en vais ! Voyons comment vous vous débrouillerez ! » A peine cette menace exprimée, les sens s'ingénièrent à l'en dissuader et le supplièrent : « Non ! Ne t'en vas pas ! » Car ils savaient bien que dès l'instant où le souffle quitterait le corps, ils cesseraient d'exister. Car tel est le pouvoir de la respiration – pranayama – comme le soulignent nos écritures. Elle est le fondement de notre être, l'élément central de notre existence physique et mentale. Elle nourrit aussi notre vie spirituelle.
Le stress agit sur notre respiration
Lorsque le stress s'empare de nous, il crée dans notre corps une tension qui réduit notre respiration. Le corps a alors un besoin accru d'oxygène pour se rétablir. S'il ne peut obtenir ce surplus d'oxygène, il s'ensuit une détérioration qui se traduit par des troubles tels que des maux de tête ou des migraines. Le stress peut aussi être à l'origine de troubles cardiaques. Tout ceci résulte donc d'une perturbation du souffle causée par le stress.
Dans une étude sur les maladies cardio-vasculaires publiée à New-York, il y a deux ou trois ans, intitulée « Combattre les maladies cardio-vasculaires » (Reversing heart diseases), l'accent a été mis sur le rôle vital de pranayama ou contrôle du souffle. Ainsi la respiration joue-t-elle dans notre vie un rôle central.
Lequel d'entre nous sait vraiment respirer ? Chacun croit savoir respirer correctement et pourtant, beaucoup n'ont même pas conscience du gonflement de leur ventre à l'inspir et de sa contraction à l'expir. Car notre respiration est souvent trop superficielle. Nous parlons de manque de sommeil, mais c'est plutôt de relaxation dont nous avons besoin. Si nous sommes trop tendus, nous ne pouvons nous relaxer et nous nous endormons dans cet état ; c'est alors que les problèmes cardio-vasculaires ou autres commencent. Tels sont les efforts directs d'une nature, d'une vie ou d'un esprit stressé.
La recherche de biens matériels
Le stress affecte aussi des gens qui vont bien et à qui rien ne manque. Lorsqu'il s'installe, cela ne signifie pas nécessairement qu'il y ait un manque spécifique. On s'accorde pourtant à penser que dans la plupart des cas, le stress est engendré par un problème spécifique. Toute la problématique de notre société moderne et matérialiste tourne autour du stress. Dans une vie essentiellement matérialiste, c'est-à-dire tournée vers la recherche de biens matériels, il est normal que le stress se développe, car les satisfactions que nous procurent les biens matériels ne sauraient répondre à notre besoin profond d'harmonie et de paix intérieur. Bien au contraire, plus nous sommes tournés vers la recherche de biens matériels, plus des désirs multiples et contradictoires s'imposent à nous. Nous ne savons plus réfléchir de manière calme et raisonnée à ce que sont nos véritables besoins. Bien souvent, nous ne savons pas ce qui est bon pour nous, et même lorsque nous le savons, nous continuons à rechercher des choses vaines.
Dans la Bhagavad Gîtâ, Arjuna demande à Krishna : « Krishna, même lorsque nous distinguons ce qui est bien de ce qui est mal, nous continuons à faire le mal, comme poussés par une force extérieure. Pourquoi, est-ce ainsi ? Qu'est-ce qui nous pousse ainsi ? » Krishna répond que c'est notre attachement aux plaisirs sensuels qui engendre la passion, la colère et la cupidité. Cet attachement obscurcit notre esprit et fausse notre raisonnement. C'est pourquoi nous ne pouvons distinguer ce qui est bon pour nous, et même quand nous y parvenons, nous continuons nos vaines actions car nous y sommes poussés par notre propre nature. Ainsi, nous n'agissons pas pour satisfaire notre nature physique, la nature en nous, car chacun réagit en fonction de sa propre nature.
C'est là par excellence le champ d'investigation de nos rishis : « Qu'est-ce que l'homme et pourquoi agit-il comme il le fait, comment notre nature évolue-t-elle et dans quelle direction ? » Comment l'homme réagit-il ? Les vibrations de ce que nous entendons, voyons, goûtons, touchons et sentons nous pénètrent et forgent notre nature. De cette nature émerge ce que nous appelons notre caractère, lequel à son tour détermine la qualité de nos affinités et de nos choix qui influencent nos comportements dans un sens rajasique (l'agressivité), tamasique (l'inertie) ou sattvique (l'harmonie).
Notre nature est notre double
Notre nature est ce que nous sommes. Elle est notre double comme le dit Krishna dans la Bhagavad Gîtâ. C'est pourquoi il est essentiel de la comprendre et de la purifier. Lorsque nous nous purifions et que nos passions et nos attachements disparaissent, nous vivons dans la paix, et le stress que nous avions en nous disparaît également.
Ainsi le stress ne vient-il pas nécessairement du monde extérieur, mais se développe en nous parce que nous ne nous connaissons pas nous mêmes. Nous sommes alors incapables de maîtriser les forces naturelles qui nous pénètrent et conditionnent notre comportement et notre caractère.
Prenons l'exemple d'une tasse de poison dans laquelle on verserait une eau pure. Au bout d'un certain temps tout le poison aura débordé et il ne restera dans la tasse qu'une eau pure.
Ainsi en va-t-il de notre nature et de toutes ses négativités accumulées depuis notre naissance ou au cours de vies antérieures. Toutes ces choses accumulées vie après vie constituent notre nature et nous poussent dans une certaine direction. Ne sachant pas comment maîtriser nos forces intérieures, nous restons tributaires de notre nature. Nous allons où elle nous mène, ne sachant que faire.
Pourtant nos rishis l'affirment : « Ce n'est pas une fatalité, nous pouvons maîtriser nos problèmes. » Lorsque ces tensions se développent en nous, nous avons la capacité de les surmonter : par la répétition d'un mantra, nous pouvons empêcher les négativités de s'emparer de nous. Car par nature, l'esprit ne peut s'intéresser qu'à une chose à la fois. Le mantra est une protection de l'esprit et grâce à lui, nous pouvons nous protéger des négativités. Ainsi protégé des influences extérieures, l'esprit commence à se régénérer et avec le temps, notre nature même se régénère. Cette régénération éveille en nous un sentiment de liberté qui fera disparaître les tensions intérieures.
Ainsi lorsque Valmiki – un filou très peu enclin à une vie spirituelle – se mit à répéter en permanence le mantra qu'il avait reçu, son être entier se transforma et de l'homme ordinaire qu'il était, il devint un rishi, par simple répétition du mantra. De même, Siddharta – un homme frustré, stressé et plein d'illusion – s'assit avec détermination sous l'arbre de sagesse, bien résolu à « connaître la vérité ». Après être resté assis immobile aussi longtemps qu'il le fallait, toutes les négativités finirent par disparaître et il émergea de cette épreuve comme le Bouddha, c'est-à-dire éveillé. Et que signifie être « Eveillé » ? Cela signifie homme de connaissance, de sagesse.
par Bette Stockbauer,
Wallace Black Elk (W. Elan noir) est instructeur, guérisseur et chaman de la tradition sioux lakota. Enfant, il fut initié aux traditions sacrées de son peuple par Nicolas Black Elk, dont l'histoire est racontée par John Neihardt dans son ouvrage Black Elk Speaks (Elan noir parle). L'article qui suit décrit un week-end d'enseignement dirigé par « Grand-père » Wallace Black Elk et « Grand-mère » Emily Bornstein Avalon. Il a lieu au Texas, à West Point, au Thunder-Horse Ranch, une terre sacrée de 20 hectares, dont Mary Thunder, fille spirituelle de Wallace et Emily, est la gardienne. Ce lieu est dédié à la guérison de la Terre et à l'unité de toute la création.
En franchissant la grille, la première chose que vous apercevez est une pancarte où vous pouvez lire : « Bienvenue à Thunder-Horse Ranch, Terre sacrée. » A droite se trouve un enclos pour les bisons, où Starkeeper et Starshine veillent soigneusement sur le jeune bison Rosebud (Bouton de rose). Vous avez laissé derrière vous les conventions de la société américaine et vous êtes entrés dans l'ordre cérémoniel des Indiens d'Amérique. Dans cet univers, le temps a perdu sa signification habituelle et l'on devient attentif à l'instant présent. Les enseignements qui sont donnés ici parlent de l'unité de toute la création.
Mary Thunder est une enseignante et guérisseuse d'ascendance cheyenne et irlandaise. Elle a fondé le ranch avec son mari, Jeffrey « White Horse » (Cheval blanc) Hubbell. Dans son ouvrage Thunder's Grace, elle dépeint la vision qui l'a inspirée. Il y a dix ans, on lui a demandé de commencer à développer des centres spirituels dans le pays : « Ces endroits seraient comme des oasis dans le désert, où les gens pourraient venir boire l'eau de la spiritualité afin d'améliorer leur vie. […Ils] seraient à la disposition des différentes cultures des quatre races, une demeure pour l'Esprit qui me guide et une terre sacrée où l'on pourrait reconstruire la famille humaine. »
Lors de chaque week-end dans le ranch, une tradition différente est représentée : vous pourrez y rencontrer par exemple un moine tibétain, un guérisseur philippin ou un instructeur du nouvel âge. Durant le week-end avec Black Elk et Emily, des séminaires d'enseignement avaient été prévus pendant la journée et une cérémonie de sweat lodge (hutte de sudation) pour la soirée du samedi.
Wallace et Emily
Wallace Black Elk dit qu'il est un Homme de la Terre, et demande que son peuple, c'est-à-dire tous ceux qui, d'où qu'ils viennent, ont gardé leur culture originelle, soit appelé le Peuple de la Terre. Dans chacune de ses paroles, on réalise qu'il n'a pas oublié ses origines. Il enseigne que le monde naturel est fondamental dans nos vies et que tout dans la nature repose sur notre Mère la Terre. En son sein, bougent les germes de la création. L'humanité elle-même est façonnée de son argile. De temps en temps, lorsqu'il parle en étant assis, Wallace saisit une poignée de terre et la laisse couler entre ses doigts en disant : « Ceci est tout. »
Emily Bornstein Avalon, titulaire d'un doctorat en psychologie, est d'origine celte irlandaise. Elle a grandi et fait ses études sur la côte Ouest, et exercé en milieu hospitalier pendant de nombreuses années. Après sa rencontre avec Black Elk, elle a cessé ses activités pour étudier le chamanisme lakota. Pendant trois ans, elle n'a plus lu un seul livre. Maintenant, ses enseignements sont souvent donnés sous la forme d'histoires qu'elle raconte et de chants. Cette fois, elle lit un conte du folklore russe très imagé et parlant d'actes de courage qui ont su déjouer la malveillance. Pendant les cérémonies, elle accompagne Black Elk de son tambour et de ses chants lakota.
L'enfance avec les Grands-pères
Black Elk n'était qu'un « jeune gamin » lorsqu'il commença son travail. Dans sa biographie Black Elk : The Sacred Ways of a Lakota (Les traditions sacrées d'un Lakota), il affirme que sa naissance et sa mission avaient été prédites depuis 19 générations. « Les anciens étaient prêts et m'attendaient », affirme-t-il. A l'âge de cinq ans, il eut sa première vision. Il lui fut alors donné « une goutte de sagesse et une goutte de connaissance… quelque chose, dit-il, que je pourrais préserver pour nos enfants et pour ceux qui viendront après moi. » Il apprit également que ses dons ne lui apporteraient ni élévation ni faveurs, mais qu'au contraire il resterait « sous les pieds de tout ce qui existe ».
Au lieu d'étudier dans des livres, il reçut l'enseignement de onze « Grands-pères », ou Aînés spirituels. Ils lui apprirent à invoquer les pouvoirs des six Grands-pères : les quatre points cardinaux, le ciel au-dessus et la Terre au-dessous. Il apprit à parler à Tunkashila, le Père créateur, et à Grand-mère Terre, la Mère créatrice : nos véritables parents. Puisque nous sommes façonnés à partir de leurs éléments, nous sommes physiquement, tout autant que symboliquement, frères et sœurs d'une même famille. Black Elk apprit la prière universelle de son peuple, Mitakuye oyasin, « tous mes parents ». Elle est chantée en signe de bienvenue puis au début et à la fin des rituels pour rappeler à chacun qu'il est lié à tout ce qui existe.
La destruction du peuple de la Terre
Dans les années 1920 et 1930, la vie fut très dure pour le Peuple de la Terre aux Etats-Unis. Dans les années 1800, ils avaient été tués ou chassés de leurs terres ancestrales. Lorsque Black Elk était enfant, une forme de destruction continue et plus subtile commença : l'américanisation. Les cérémonies indiennes furent interdites et les enfants des tribus envoyés de force dans les écoles de tendance chrétienne, dirigées par des Blancs. Beaucoup ne retrouvèrent leurs familles ou leurs coutumes qu'après bien des années. Leur culture et le sens de leur propre valeur furent brutalement minés par les châtiments corporels et l'endoctrinement dans une religion souvent enseignée par des professeurs imbus d'eux-mêmes et racistes. En retournant dans leur famille, beaucoup se sentirent déracinés et mal à l'aise dans les deux cultures.
Parce qu'ils avaient compris qu'il avait un rôle à jouer, les membres de la tribu dont Black Elk faisait partie le cachèrent afin de le soustraire à l'obligation scolaire. A plusieurs reprises, ils furent emprisonnés pour non respect de la loi. Black Elk leur est toujours demeuré reconnaissant de s'être sacrifiés pour lui. Il sait que l'école des Blancs aurait détruit ses dons particuliers. Au cours des années, il a appris les quatre leçons de l'Homme de la Terre : courage, patience, endurance et vigilance. Grâce à elles, il fut capable de réaliser les promesses de son enfance, de maintenir les traditions lakota et de les préserver durant les années sombres. Il apprit également la leçon du pardon : lorsqu'il prie, c'est pour tout ce qui vit, et sa guérison est donnée aux individus de toute culture. Il s'exprime ainsi : « Lorsque je dis « mon peuple », je ne parle pas seulement de ma tribu sioux. Ce n'est pas ma façon de penser, je parle du monde entier […] de tous les bipèdes, des quatre couleurs sacrées que Tunkashila a créées […] le noir, le rouge, le jaune et le blanc. »
Le chanunpa
Pour Black Elk, le calumet sacré, le chanunpa, est au centre de son rituel. C'est son lien avec le monde de l'esprit. C'est avec le chanunpa qu'il commence et termine les cérémonies. C'est avec lui qu'il s'adresse à Tunkashila, qu'il invoque les esprits, qu'il demande aide et guérison pour lui-même et pour son peuple.
A son retour de la Seconde Guerre mondiale, il décida qu'il parlerait au monde du caractère sacré du chanunpa. Pendant des dizaines d'années cela avait été impossible. Mais il pensa que le moment était venu. Les premiers à protester furent les prêtres. Sur ordonnance judiciaire, la police l'emmena, sanglé dans une camisole de force, en le frappant, et le jeta dans la cellule d'une institution psychiatrique où il fut classé malade mental.
Mais il se produisit quelque chose d'étrange dans la cellule froide et solitaire : un esprit vint ouvrir la porte. Ses gardiens ne voulurent, bien sûr, pas le croire lorsqu'il leur dit que c'était un esprit, mais cela les perturba tellement qu'il réussit à obtenir sa libération.
De telles persécutions n'ont jamais arrêté Black Elk. Il a enseigné les traditions sacrées pendant cinquante ans et persévéré en dépit d'un accueil souvent indifférent. Il a invité des scientifiques, des psychologues, des prêtres et des médecins à venir observer les rites de la vie lakota. Il a fait des conférences dans le monde entier, discuté de ses enseignements avec des physiciens nucléaires, s'est adressé aux Nations unies.
Il pense que le Peuple de la Terre a gardé vivante une connaissance essentielle qui a été presque détruite dans un monde trop avide. Il suggère avec un sourire forcé de remplacer sur le dollar américain la devise « In God We Trust » (En Dieu, nous mettons notre confiance) par « In Gold We Trust » (En l'or, nous mettons notre confiance). Il croît cependant que les gens retrouvent le chemin de la simplicité et écoutent à nouveau la voix du sacré parce qu'ils savent que leur planète est au bord de la destruction. Les enseignements se frayent à nouveau un chemin.
Les esprits de la nature
Black Elk entretient des liens étroits avec les esprits de la nature. Au début des années 1950, au cours d'une sweat lodge (que Black Elk appelle stone-people-lodge : hutte du peuple de pierre), le fish-people (le peuple des poissons) est venu se plaindre. Ceux qui se trouvaient dans la hutte ont pu réellement sentir les queues des poissons frapper leurs corps et entendre l'eau gargouiller sur les pierres chauffées. Les esprits des poissons étaient venus dire que les humains faisaient un mauvais usage du pouvoir du créateur, en fabriquant des bombes A et qu'ils déversaient des déchets nucléaires dans les océans. Finalement, cela serait nuisible non seulement au peuple des poissons mais à toute la chaîne de la vie. Il fallut attendre dix-sept ans pour que les informations concernant cette pollution radioactive arrivent jusqu'aux kiosques à journaux.
Dans un hôpital de Denver, Black Elk conduisit un jour une cérémonie pour la guérison d'un petit garçon qui ne pouvait ni parler, ni manger, ni marcher. L'esprit qui vint diagnostiquer la maladie dit qu'une force maléfique inconnue, un toka, avait attaché une toile d'araignée qui formait un nœud autour d'un des nerfs crâniens près du cou. Cela avait complètement paralysé non seulement les muscles du cou et les cordes vocales mais avait affecté tout le système. Lorsque Black Elk fit appel à l'esprit de l'araignée rouge, Iktomi, père de toutes les araignées, celui-ci démêla la toile dans la gorge. A l'instant même l'enfant fut libéré et, en l'espace d'une journée, il commença à manger, marcher et parler.
Afin que les hommes puissent vivre
Une phrase revient sans cesse dans les prières et les chants lakota : « Afin que les hommes puissent vivre. » Les chefs et les guérisseurs se considèrent comme des serviteurs et des intercesseurs entre les hommes et les forces spirituelles de l'univers. Ils ne font guère confiance à la souffrance offerte en expiation de la foi chrétienne, mais ils acceptent volontairement de souffrir pour leur propre groupe et pour toutes les créatures vivantes.
Les sept cérémonies originelles des Lakotas et leurs rites sont de nouveau pratiqués aujourd'hui. La Sundance (danse du soleil), la Vision Quest (quête de la vision) et la Sweatlodge (hutte de sudation) sont les plus connues. Chacune implique l'endurance à la souffrance. Chacune essaie de transcender les liens du corps, et d'entrer en contact avec la voix du Sacré.
A l'âge de 38 ans, Mary Thunder fut victime d'une crise cardiaque. Elle « mourut » sur la table d'opération et entra dans le monde spirituel. On lui enseigna ses secrets et on lui dit de retourner sur la Terre pour achever sa tâche. Elle sut que sa vie ne serait plus jamais la même, et un an plus tard elle fit partie de ceux qui participaient à la danse du soleil.
« La danse elle-même, écrit-elle, est la danse de la mort, de la transformation et de la renaissance. Elle est pratiquée pour le renouveau de la Terre, au moment de l'année où le soleil est le plus haut, afin d'attirer les énergies du Père soleil dans la Mère Terre. »
C'est la plus astreignante des cérémonies. Pendant quatre jours et quatre nuits, les danseurs se privent de nourriture et d'eau. Dans la chaleur de l'été, du lever au coucher du soleil, ils dansent autour de l'arbre de vie, en priant pour avoir une vision. Ils font des offrandes de leur propre chair, en se perçant la peau pour faire couler leur sang. Les danseurs montrent ainsi « leur générosité, leur gratitude, leur courage et leur force morale en offrant leur chair, la seule chose qui […] leur appartienne vraiment. »
Ce fut une décision très importante pour Mary Thunder de participer à la Sundance. Parce qu'il s'agit d'un rituel d'initiation et que son accomplissement peut conduire le danseur à une situation nouvelle de pouvoir et de responsabilité au sein de la communauté. C'est ce qui est arrivé à Mary dont le travail s'est intensifié chaque année.
La hutte du peuple des pierres
Le samedi soir, dans le ranch de Thunder Horse, nous nous rassemblons dans la « hutte du peuple des pierres ». Le feu central envoie des flammes dans la nuit qui devient plus sombre. Ses étincelles s'envolent vers le ciel et se mêlent aux étoiles. Nous entrons dans l'abri avec humilité, sur les mains et les genoux, et nous nous entassons dans l'enceinte minuscule. Des pierres incandescentes sont apportées et la porte est fermée.
Black Elk accomplit, à quatre reprises, un rituel de purification en élevant la voix vers Tunkashila et en jetant de l'eau sur les pierres. L'évaporation remplit la pièce de vapeur chaude qui coupe la respiration et toute pensée. Lorsqu'Emily chante en battant du tambour, sa voix pénètre dans les espaces de l'âme et donne à la souffrance une autre dimension. Chaque vague de souffrance est transformée, s'élève hors du corps et trouve sa voie dans l'univers. Tout ce qui reste, ce sont les visage – des milliers de regards affamés qui saisissent le cœur – et les corps de frères et de sœurs tellement paralysés par la misère qu'ils ne savent plus comment crier.
On comprend alors, bien sûr, que c'est pour cela que nous vivons, que nous poursuivons notre route dans ce monde de douleur, au milieu d'une souffrance qui dépasse les mots et l'entendement. C'est pour les hommes qui ont les yeux vides et le corps décharné. Quelque chose en nous se détend. Quelque chose au plus profond de nous-mêmes embrasse la vie, cette existence minuscule dans le vaste plan de la création. C'est pourquoi nous respirons et nous poursuivons notre chemin – « Afin que les hommes puissent vivre ».