Interview de Sarah Gillam par Gill Fry,
Fam-Africa (Food and Agricultural Research Management) est une ONG britannique centrée sur la réduction de la pauvreté des travailleurs agricoles africains les plus démunis. Dans le cadre de projets en cours dans plusieurs pays (Ethiopie, Kenya, Afrique du Sud, Tanzanie et Ouganda), elle travaille aux côtés de petits fermiers et de bergers pour les aider à tirer un meilleur parti des terres dont ils vivent.
Plus de 80 % des Africains n’ont d’autre nourriture que celles qu’ils tirent du sol et de leurs troupeaux. Son expérience auprès des plus nécessiteux a convaincu Farm-Africa qu’il suffit d’une assistance, même faible, pour que des petits fermiers et des bergers africains à la limite de la survie améliorent d’une façon spectaculaire leurs vies. Pour cette ONG, il ne fait aucun doute que le continent a de quoi nourrir sa population – et que, pourvu que soit disponible le soutien adéquat, sa vision d’une Afrique rurale prospère est réalisable. Elle fait partie des 463 organisations qui participent à la campagne « Abolissons la pauvreté ». Une de ses membres, Sarah Gillam, répond aux questions de Gill Fry pour Partage international.
Partage international : Quand Farm-Africa a-t-elle démarré, et quelle est sa tâche principale ?
Sarah Gillam : Nous avons commencé en 1985, à la suite de la famine en Ethiopie. C’est Michael Woods qui, après s’être retiré de Service des médecins volants qu’il avait fondé au Kenya, a lancé notre organisation avec David Campbell, alors directeur d’Oxfam pour l’Afrique de Est, qui s’était aperçu que la mauvaise qualité de l’alimentation entrait pour une bonne part dans les maladies qu’il traitait.
Nous travaillons principalement dans trois domaines : la petite agriculture et les activités pastorales et forestières.
PI. Votre travail est donc très local ?
SG. Oui. Il s’agit d’introduire dans la gestion des ressources naturelles une technologie et des approches innovantes. Nous travaillons avec les plus pauvres d’entre les pauvres. Par exemple, en ce qui concerne les petites exploitations, nous pouvons nous associer à des organismes de recherche sur de nouvelles variétés de plantes, plus résistantes aux maladies (mais non des OGM), comme les patates douces ou le manioc. Un projet a été lancé récemment sur le problème du virus de la mosaïque, qui touche cette dernière plante : la récolte étant passée de 16 tonnes par hectares à 2, nous avons, en collaboration avec un institut de recherche, procuré trois ou quatre nouvelles variétés à des fermiers pour qu’ils les cultivent dans des champs expérimentaux afin que, en fonction de critères de productivité et de goût, ils choisissent les plus intéressantes. Ils ont aujourd’hui un surplus de récoltes, qu’ils ont pu vendre – tels quels, ou transformés en farine, voire en pains et en beignets. Cela, grâce à la petite usine destinée à moudre le manioc et à en tirer des sous-produits qu’ont financés des investisseurs japonais, très impressionnés par le projet et par ses premières réalisations. Voilà un exemple de développement de la petite agriculture.
Nous travaillons actuellement avec les bergers nomades, en particulier en Afar (Ethiopie). Nous disposons de camps mobiles comprenant un vétérinaire, assisté d’un membre de la communauté visitée, spécialisé dans les questions de santé animale. Ces camps vont là où se trouvent les bergers et les aident à introduire de nouvelles méthodes dans leur manière de s’occuper de leurs troupeaux. Ainsi, il n’y a pas longtemps, il y a eu une sécheresse dans la zone où circulaient les bergers : nous avons monté un abattoir mobile pour tuer les animaux les plus faibles, tout en gardant les femelles afin de reconstituer leurs troupeaux une fois la crise passée.
PI. Pourriez-vous décrire votre travail dans les régions forestières ?
SG. Nous travaillons, en Ethiopie et en Tanzanie, sur les questions de gestion communautaire de forêts. Environ 20 000 hectares disparaissent chaque année en Ethiopie, du fait de la croissance démographique – les abattages procurant du combustible ainsi que de nouvelles terres cultivables. Cette situation aggrave considérablement l’érosion des sols ainsi que l’évolution du climat. Nous sommes aux côtés de communautés qui vivent soit dans les forêts, soit à proximité. En accord avec le gouvernement, nous avons réparti celles-ci entre les groupes communautaires, de sorte qu’ils en sont maintenant propriétaires, et responsables. Si quelqu’un vient faire des coupes claires dans la forêt, il existe désormais des accords légaux entre la communauté et le gouvernement qui garantissent l’application de la loi.
Autre projet à venir, toujours avec les mêmes populations : enrichir et diversifier leurs sources de revenus, en se lançant dans l’apiculture, par exemple. Cela les conduira à moins dépendre de la forêt.
PI. Qu’attendez-vous de votre réforme rurale ?
SG. En Afrique du Sud, plus précisément au nord de la région du Cap, nous procédons à un programme de restitution des terres à ceux qui en ont été spoliés. On en distribue aussi des lots aux communautés les plus pauvres, et nous les assistons dans les premiers pas de leurs activités fermières.
L’un des problèmes que nous rencontrons en Afrique du Sud, en particulier en ce qui concerne ce programme de restitution, c’est que certaines personnes se trouvent à 150 ou 300 km des terres dont leurs ascendants ont été chassés, il y a 50 ou 60 ans, par le régime d’apartheid. Beaucoup en sont aujourd’hui légalement propriétaires mais, vu les distances, ils ne sont pas en mesure de venir s’y établir.
PI. Dans ces cas, leur accordez-vous un soutien financier ?
SG. Nous ne donnons jamais d’argent, mais, par exemple, nous pouvons fournir des brebis et des chèvres. Nous procurons deux chèvres d’une race locale à une famille, puis nous les croisons avec un bouc Toggenberg (race britannique), de façon à mêler à 50 %-50 % leurs patrimoines génétiques. Puis un nouveau croisement portera la proportion du mélange à 75 % (Toggenberg)-25 %. On obtient en bout de course une chèvre laitière d’une grande robustesse, qui peut produire quatre litres de lait par jour. Les propriétaires donnent alors leurs deux premières chevrettes à une autre famille pauvre, qui poursuit les opérations de croisements.
PI. Comment décidez-vous des bénéficiaires ?
SG. C’est la communauté qui choisit. Les chefs et les officiels locaux se réunissent pour déterminer la personne qui en a le plus besoin, souvent une veuve. Les veuves ont un statut social particulièrement défavorisé, précaire ; on les laisse tout simplement se débrouiller. Le choix se porte aussi souvent sur les femmes seules ou chefs de famille, les personnes âgées, les jeunes que le sida a privé de leurs parents – la file d’attente des bénéficiaires de nos programmes est longue, et très variée.
Nous intervenons en majeure partie dans la campagne, où il n’y a ni électricité, ni eau courante ni système d’épuration. Les gens doivent souvent aller chercher leur eau dans un trou de rivière asséchée situé à 3 ou 4 heures de marche – c’est en fait toute la famille qui y va avec des bidons.
Peu mangent de la viande, c’est un luxe. On se contente d’une nourriture extrêmement maigre : des légumes tout le temps, en fait, qui constituent un régime très pauvre. Ce sera du manioc, de la bouillie de maïs, des plats à base de féculents – ce qui revient à manger des patates tous les jours. La plupart de ces gens ne disposent que d’un demi ou d’un hectare, où ils cultivent quelques plantes comme les patates douces et, dans certaines régions, du maïs et du sorgho ; en Ethiopie, un ou deux arbres proches de notre citronnier, un manguier, un noyer. Parfois, un avocatier ou un papayer.
PI. Y a-t-il des écoles dans la région ?
SG. Les écoles sont à une heure de marche. Les enfants s’y rendent pieds nus par des chemins caillouteux et boueux. Mais, par exemple, le Kenya a maintenant une éducation primaire pour tous qui assure aux enfants huit ans de scolarité gratuite. S’ils vont ensuite à l’école secondaire, il leur faudra payer des droits d’inscription.
PI. Pouvez-vous dire un mot de la campagne « Abolissons la pauvreté », et pourquoi vous l’avez rejointe ?
SG. C’est une vaste coalition que vous connaissez. Nous partageons ses buts : commerce équitable, abandon de la dette, augmentation et amélioration de l’aide. Naturellement, chaque organisation sera davantage présente dans le ou les domaines les plus proches de ses propres engagements. En ce qui nous concerne, nous nous intéressons plus particulièrement à la question de l’aide. Etant donné que nous travaillons surtout avec des organisations engagées sur le terrain et auprès de gens qui sont réellement dans une situation de misère, nous nous sentons moins concernés par les questions de commerce international. Notre raison d’être, c’est d’aider les gens à améliorer par eux-mêmes leur alimentation.
Nous travaillons à élaborer des aides de mieux en mieux ciblées, qui ne soient donc pas uniquement de type bilatéral, de gouvernement à gouvernement, mais qui bénéficient également à la société civile. L’argent que l’on recueille va directement aux communautés, et l’on en voit très vite les résultats. Il faudrait demander plus. Accorder une aide bilatérale est, certes, plus facile, mais l’aide ciblée, même si cela coûte plus cher d’en effectuer le suivi, est plus efficace. Nous voudrions aussi que l’on rende compte de l’aide [publique] britannique aux citoyens, afin que nous puissions savoir de quelle manière notre argent, nos impôts sont dépensés.
PI. L’éradication de la pauvreté est-elle possible et, si oui, à quelle échéance ?
SG. A moins que les choses ne changent radicalement, il est probable que la pauvreté s’aggrave en Afrique ; en fait, la Banque mondiale prévoit une augmentation du nombre de pauvres en Afrique et dans le Moyen-Orient d’ici 2015 ; et les évolutions actuelles ne laissent guère d’espoir quant à la réalisation des principaux Objectifs du millénaire (ODM) fixés par l’Onu pour 2015. Par exemple, les deux ODM proposant de réduire de moitié le nombre des personnes vivant dans la pauvreté absolue ainsi que de celles souffrant de la faim, ne seront jamais atteints, si l’on s’en tient aux tendances présentes. La pauvreté la plus extrême se trouve en Afrique sub-saharienne, où près de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour – moins de 0,80 euro.
PI. Que doit-on faire pour changer cette situation et créer la volonté politique nécessaire ?
SG. Il faut participer à la campagne, en écrivant à son député, en se manifestant par toutes sortes de moyens. En écrivant à Tony Blair, comme la campagne « Abolissons la pauvreté » a encouragé à le faire, en entrant en contact avec tous nos représentants et tous les lobbies.
PI. Pensez-vous que les manifestations sont efficaces pour faire connaître la volonté des gens, et serez-vous à celle prévue lors du G8 en Ecosse ?
SG. Bien sûr, qu’elles sont efficaces – et oui, nous serons à Edimbourg le 2 juillet et à Gleneagles le 6. Si personne ne parlait du G8 et qu’il n’y avait personne dans les rues, ses participants sentiraient peut-être comme un manque d’intérêt. Nous leur disons, au contraire, que nous sommes très intéressés par ce qu’ils vont se dire.
Pour plus d’information : farmafrica.org.uk
Source : Farm-Africa
Quel est le prix de la guerre ? Quel est celui de la paix ? – [sommaire]
Interview de Martin Broek par Corné Quartel,
La campagne contre le commerce des armes (Campaign Against Arms Trade) (CAAT), a été mise sur pieds en Grande-Bretagne, en 1974, par une large coalition d’organisations et d’individus qui veulent mettre un terme au commerce international des armes. Le CAAT affirme que ce commerce a un impact négatif sur les droits de l’homme, la sécurité ainsi que sur le développement économique à l’échelle globale, régionale et locale. Il cherche à encourager la paix, la justice et les valeurs démocratiques ; il suggère le recours aux Nations unies et à la société civile pour résoudre les conflits internationaux par des moyens pacifiques. Enfin le CAAT prône la conversion des industries militaires vers une production civile.
Martin Broek est un écrivain néerlandais. Il travaille pour le CAAT aux Pays-Bas, qui fait partie des dix pays les plus actifs dans le commerce des armes. Avec Frank Slijper, il est co-auteur d’un livre intitulé Explosieve Materie (Matière explosive) qui met en avant le cuisant échec du gouvernement néerlandais en matière de contrôle des exportations militaires, son appui systématique à l’industrie de l’armement et le maintien du secret sur les informations en rapport avec le commerce des armes. Bien que le gouvernement cherche à promouvoir l’idée d’un frein en matière de dépenses militaires, des armements sont exportés pour des millions de dollars vers des régions en guerre et des régimes qui violent les droits de l’homme. Depuis la publication du livre, le gouvernement s’est montré progressivement plus ouvert en matière d’information sur le commerce des armes. A l’heure actuelle, les Pays-Bas font figure de leader pour ce qui est de la transparence en matière de commerce des armes.
Corné Quartel a interviewé Martin Broek pour Partage international.
Partage international : Quels sont les objectifs du CAAT ?
Martin Broek : Nous mettons l’accent sur le respect strict du code de conduite européen en matière de commerce des armes. Ceci signifie que nous voulons mettre un terme aux livraisons problématiques telles que celles en faveur de pays où les droits de l’homme sont violés, des pays en guerre ou des pays qui supportent le terrorisme international. Nous mettons aussi l’accent sur la relation entre dépenses sociales et dépenses militaires. Le problème vient du fait que de nombreux achats d’armes sont financés au détriment d’autres budgets. Nous déplorons les livraisons à grande échelle vers des pays pauvres qui devraient consacrer ces sommes à d’autres objectifs comme les programmes en matière de santé ou d’éducation.
Un thème important est l’exportation de fournitures à double usage ; il s’agit de biens qui peuvent être utilisés aussi bien dans le domaine civil que dans le domaine militaire. De telles marchandises constituent une part importante des exportations d’armes des Pays-Bas. Le ministère des Affaires étrangères utilise cet argument afin de ne pas informer les membres du Parlement. Nous pensons que ce dernier devrait pouvoir contrôler de telles exportations. De grands scandales sont liés à l’exportation de biens à double usage. Le programme nucléaire du Pakistan, par exemple, a été rendu possible en grande partie grâce à l’industrie néerlandaise de l’armement. L’exportation de matières premières vers l’Irak constitue un autre exemple : ces matériaux furent utilisés dans la fabrication d’armes chimiques qui furent employées contre le peuple kurde. Ces questions peuvent avoir d’énormes implications : quelques années plus tard, la présence de telles armes fut invoquée comme un élément justifiant l’attaque contre l’Irak. Le référendum pour la constitution européenne constitue un autre sujet d’intérêts car celle-ci tend à renforcer la position de l’industrie de la défense. Par exemple, une Agence européenne de la défense a été créée pour stimuler l’industrie de la défense et des budgets sont prévus pour la recherche et le développement en Europe. Cette agence essaie d’aboutir à plus de flexibilité en matière d’exportation des armes. L’Union européenne dispose d’un code de conduite pour l’exportation des armes, mais au niveau de la Constitution il est seulement mentionné que le contrôle des armes ne fait pas partie des politiques communes de l’Union européenne. Une telle mention est courante dans les traités de commerce internationaux, mais pourquoi ne pas faire référence au code de conduite sur le commerce des armes ?
PI. Pourquoi le CAAT s’oppose-t-il à l’exportation d’armes vers les régions à haute tension ?
MB. Parce qu’il a été prouvé que si l’exportation d’armes vers les régions en conflit se développe à une grande échelle, de tels conflits ont plus de chance d’aboutir à une guerre et qu’une telle évolution n’est pas conforme aux intérêts des nations en conflit et de leurs peuples. Nous ne devrions pas contribuer à favoriser ce genre de développement. Ainsi, au Cachemire, un conflit subsiste entre l’Inde et le Pakistan ; des groupes non armés essaient de résoudre la crise sur le plan politique mais ils sont confrontés à des ligues armées qui sont équipées par les Pays-Bas. D’après le code de conduite, ceci ne devrait pas se produire, et en 1998, nous avons pu mettre un arrêt aux licences d’exportation. Mais ce moratoire a été révoqué suite au lobbying mené par l’industrie militaire.
Suite à la guerre contre le terrorisme, un nouveau phénomène international est apparu : on exporte maintenant des armes vers des régions où, auparavant, il n’était pas possible de la faire. Dès septembre 2001, des avions se sont rendus des Etats-Unis au Moyen Orient. En une semaine, plusieurs milliards de dollars d’armement ont été vendus à ces pays afin de les convaincre de rejoindre la coalition contre le terrorisme. Ceci a été rendu possible non pas parce que ces pays agissaient de manière plus respectueuse par rapport aux droits de l’homme mais parce qu’on souhaitait qu’ils deviennent des alliés. Il est indéniable que le commerce des armes renforce les liens politiques.
En 1989, un embargo sur les armes à destination de la Chine fut décrété après la violente répression contre les étudiants manifestant sur la place de Tiananmen. Depuis un an et demi, l’embargo est menacé parce que l’Allemagne et la France cherchent à renforcer leurs relations économiques et politiques avec la Chine. Si vous fournissez des armes à un pays, vous en faites votre allié car vous vous engagez dans une relation à long terme. Par exemple, une frégate peut durer 30 ans pendant lesquels il faut fournir de la maintenance.
Officiellement, les Pays-Bas ont une politique restrictive en ce qui concerne l’exportation directe d’armements vers Israël. Cependant, la société Philips, par exemple, fournit des pièces détachées aux Etats-Unis pour les hélicoptères d’attaque Apache qui sont envoyés en Israël. De nombreuses exportations d’armes passent par l’aéroport de Schiphol et le port de Rotterdam. De plus, les Pays- Bas achètent des armes en Israël et, en échange, vend des pièces de rechange pour les armes israéliennes. C’est ce qu’on appelle les politiques de compensation. Les obligations de divulgation ne concernent que les exportations directes d’armement mais les Pays- Bas fournissent de nombreuses pièces de rechange pour des fusils et des carabines aux Etats-Unis. Nous ne savons pas ce qui se passe avec ces pièces, c’est pourquoi nous voulons que ces cas de figure soient également réglementés.
Le gouvernement néerlandais est un important fournisseur d’armes vers les pays non-européens auxquels il vend son matériel de seconde main. Très peu d’informations sont rendues publiques sur ces livraisons et il est donc difficile pour le Parlement d’exercer un contrôle. Ainsi, des armes de seconde main valant quelques 500 millions d’euros ont été fournies au Chili ; ce qui a fait que le Pérou, voisin du Chili, s’est senti menacé. Un grand nombre de tanks ont été fournis à une compagnie chilienne dont l’un des anciens directeurs était le général Pinochet.
PI. Quels sont les autres pays qui font partie des dix plus importants exportateurs d’armes ?
MB. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la France forment les quatre plus importants, suivis de l’Allemagne, la Chine, l’Italie, l’Espagne et Israël. L’Otan et l’Union européenne fournissent les plus gros volumes d’exportation : les Etats-Unis pour 45 %, l’Union européenne pour 35 % et le reste pour 20 %.
PI. Combien dépense-t-on chaque année en armement ?
MB. Les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 900 milliards de dollars chaque année : 600 milliards sont dépensés en Occident ; 50 % des dépenses militaires couvrent des frais de personnel, 25 % le carburant, les bâtiments et les terrains et 25 % concernent l’armement ; 20 % de la production est exportée.
PI. L’Onu estime que chaque année, 80 milliards de dollars seraient suffisants pour empêcher 60 000 personnes de mourir chaque jour de famine.
MB. Parfois il est facile de dire que nous devons couper dans les budgets militaires mais aux Etats-Unis, les républicains comme les démocrates y sont opposés car cela menacerait l’emploi. D’un autre côté, les ressources humaines, et en particulier la connaissance, pourraient également être utilisées pour atteindre des objectifs plus utiles. C’est un véritable gaspillage du génie humain. De plus, des montants astronomiques sont consacrés à la production militaire : par exemple, un tank coûte 10 millions de dollars, un avion de chasse F16, 80 millions. Parfois on affirme que les dépenses militaires garantissent la sécurité des gens mais dans de nombreux pays, les gens sont beaucoup plus menacés par le manque de nourriture, d’eau potable, de carburant, d’éducation et de soins de santé que par l’invasion d’un autre pays. D’après le Programme des Nations unies pour le développement, les objectifs du millénaire ne pourront pas être réalisés si les dépenses militaires sont maintenues à leur niveau actuel.
PI. Comment des sommes aussi importantes investies dans l’industrie de l’armement peuvent-elles influencer la politique du gouvernement ?
MB. Aux Etats-Unis, les principaux fabricants d’armes ont toujours été impliqués dans les campagnes électorales des républicains et des démocrates. Ils offrent de l’argent et des facilités pour s’assurer qu’ils obtiendront des commandes de la part du prochain président ou du président actuel s’il est réélu. Les relations entre l’industrie de l’armement et les autorités politiques sont très proches par nature. Les gouvernements supportent leur propre industrie de façon à garder le contrôle, de même, ils préfèrent acheter des armes dans leur propre pays.
PI. La réduction des dépenses militaires ou le désarmement pourraient-ils conduire à une déstabilisation ?
MB. On dit que l’industrie de l’armement est nécessaire pour maintenir l’armée à un niveau acceptable. Cependant, l’Otan est responsable des deux tiers des dépenses militaires. Même si les dépenses sont réduites considérablement, cette situation se maintiendra. La Russie s’est plus ou moins effondrée et la Chine ne sera significative sur le plan militaire que dans environ une vingtaine d’années.
PI. Quel est le pays qui a la capacité de destruction la plus élevée ?
MB. Les Etats-Unis ont l’armée la plus importante et le plus d’armes. Mais comme les événements du 11 septembre l’ont montré, il est possible de provoquer d’énormes destructions avec des moyens limités en combinant l’ingéniosité et une volonté farouche. Les pays qui ne sont pas forts sur le plan militaire peuvent faire appel à d’autres tactiques. C’est ce que nous appelons une » guerre asymétrique ». Vous pouvez faire des bombes « sales » à partir de déchets nucléaires, par exemple en les plaçant dans une sorte de missile. Quand vous répandez des gaz neurotoxiques dans une station de métro où se trouvent 10 000 personnes, comme cela s’est passé au Japon, les effets sont extrêmement destructifs.
PI. N’est-il pas possible de protéger son pays contre de telles attaques ?
MB. Vous ne pouvez pas faire appel à la puissance militaire pour éliminer de telles attaques. Si vous considérez par exemple la guerre contre le terrorisme, l’engagement de toutes les forces militaires et la violence ont échoué ; ils ont seulement abouti à plus de terrorisme. Les conflits doivent être résolus par les moyens diplomatiques. A cause de la dominance militaire de certains pays, d’autres sont forcés de recourir à des tactiques asymétriques. Le Pentagone combat ces tactiques par un contrôle encore plus serré des biens et des personnes. Mais c’est une bataille dépassée comme du temps de « Tom et Jerry » : Tom est le plus fort mais Jerry est toujours un peu plus malin et leurs disputes n’en finissent jamais. En plus, l’économie américaine est faussée par le niveau des dépenses militaires. Par exemple, 62 % des budgets de recherche annuels sont consacrés aux armements. Je crois que vous ne pourrez éteindre un conflit par la simple force. Ce à quoi il faut s’attaquer, ce sont les problèmes sociaux et politiques qui sont à la base des conflits.
PI. Que faudrait-il faire des bases militaires réparties à travers le monde ?
MB. Je suis convaincu que les bases étrangères où sont stockées des armes nucléaires devraient être fermées. Ceci contribuerait à renforcer le traité de non prolifération. Nous sommes tous d’accord pour affirmer qu’il faut réduire le nombre d’armes atomiques mais aucun progrès ne pourra s’accomplir si de telles armes sont disséminées à travers le monde entier. De nombreuses autres bases pourraient également être fermées car elles constituent une réponse militaire à des problèmes politiques.
PI. Pensez-vous que l’Iran et la Corée du Nord constituent une menace pour le monde ?
MB. La menace est fortement exagérée. La Corée du Nord détient probablement l’arme atomique ou, du moins, a la capacité d’en produire. Mais ce pays est tellement pauvre et mal organisé que j’ai du mal à croire qu’il constitue une réelle menace. Il est vrai que la Corée du Nord exporte des armes à travers le monde entier, mais les autres pays le font également.
Il serait préférable que l’Iran ne développe pas sa capacité nucléaire. Ceci ne contribuerait qu’à accroître les problèmes liés aux armes atomiques. Mais ce pays ne constitue pas une menace pour la paix mondiale ; s’il tente quoi que ce soit de dangereux, il serait bombardé dans les minutes suivantes. Aucun des deux pays ne constitue un réel danger, mais il serait préférable qu’ils mettent un terme à leur programme nucléaire. Ceci implique que les programmes d’autres pays devraient également être démantelés. Si c’était le cas, l’Occident aurait d’avantage le droit à la parole. A l’heure actuelle, l’Occident détient quelque milliers d’armes atomiques, tandis que la Corée du Nord en détient tout au plus six.
PI. Que pensez-vous des Etats-Unis qui vendent des bombes bunker-busters à Israël ?
MB. Les Etats-Unis fournissent beaucoup d’armes à Israël. Les bunker-busters sont des bombes qui pénètrent dans le sol et explosent lorsqu’elles entrent en contact avec le béton ou l’acier ; on les utilise pour détruire les installations militaires souterraines ou les bunkers. Le nouveau secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, a affirmé : » Israël ne pourrait pas survivre sans l’appui militaire des américains. » Israël détient le plus grand budget militaire par tête d’habitant, et pourtant le conflit avec les Palestiniens n’est toujours pas résolu et il n’y a toujours pas de solution diplomatique. Bien sûr Israël doit pouvoir se défendre mais il le fait d’une manière tellement cruelle en lançant des roquettes contre les Palestiniens ; dans le conflit actuel, quatre Palestiniens ont été tués pour un Israélien.
PI. Que pensez-vous de l’expression « axe du mal » ?
MB. Je n’aime pas cette expression. Nous ne devrions pas parler de cette manière, en terme d’Etats sataniques ! Ce n’est pas un langage politique mais plutôt une sorte de langage religieux fondamentaliste. Cela revient à affirmer : » Nous sommes les bons, ils sont les mauvais. » Il n’existe pas d’Etat représentant le mal et, de même, il n’existe pas d’Etat représentant le bien. Nous faisons tous de notre mieux pour réaliser quelque chose de notre vie et de notre monde et nous commettons tous des fautes. La population de Corée du Nord est composée de gens ordinaires et intelligents qui vivent dans un pays de « l’axe du mal ». Nous devons éviter ces schémas de pensées. Certaines personnes pensent que ce sont les Américains qui sont les terroristes mais vous y trouverez à la fois des gentils et des méchants. Si nous parlons de l’autre avec de telles expressions, nous empêchons tout effort constructif de recherche d’une solution tout comme avec l’expression : » Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. » C’est une forme de tyrannie qui suppose que la vérité absolue existe.
Le coût de l’armement
Bombardier B-2 : $ 1 000 millions
Avion de chasse F-15 : $ 105 millions
Hélicoptère Apache : $ 50 millions
Tank Léopard : $ 10 millions
Missile AMRAAM : $ 386 000
Missile Stinger : $ 88 000
Bombe Cluster : $ 14 000
source : www.defensenews.com
Pour plus d’informations : www.caat. org. uk ; stoparmstrade.org ; Campagne tegen Wapenhandel www.stopwapenhandel.org
M. Broek et F. Slijper, Explosieve Materie, Edition Papieren Tijger, Pays-Bas 2003.
Eléments pour une paix durable (1ère partie) – [sommaire]
Interview de Mazin Qumsiyeh par Andrea Bistrich,
Militant palestinien et professeur à l’université de Yale, Mazin Qumsiyeh vient de publier un ouvrage, Sharing the Land of Canaan – Human Rights and the Israeli-Palestinian Struggle. (Partager la Terre de Canaan – les droits de l’Homme et le conflit Israélo-palestinien)1 dans lequel il examine les questions centrales de ce conflit et dessine les grandes lignes d’une paix durable, basée sur l’application sans exclusivité des Droits de l’Homme.
Il a cofondé de nombreuses associations et organisations, telles que Triangle Middle East Dialogue, Carolina Middle East Association, the Holy Land Conservation Foundation, the Middle East Genetics Association et la Coalition pour le droit au retour des Palestiniens et universitaires pour la justice.
Andréa Bistrich l’a interviewé pour Partage international.
Partage international : Le conflit du Moyen-Orient est-il d’abord de nature religieuse, ou est-ce une lutte pour un territoire, l’eau et d’autres ressources naturelles ?
Mazin Qumsiyeh : Ce conflit est, essentiellement, une lutte que mènent des gens pour rester sur une terre où ils sont nés face à une campagne sans pitié de « nettoyage » (terme utilisé dans le programme du mouvement sioniste au tout début du XXe siècle). Près de cent ans après le début de ce conflit, les deux tiers d’entre eux sont soit réfugiés, soit déplacés, le reste vivant dans des zones de plus en plus restreintes où ils connaissent une situation croissante de pauvreté et de ghettoïsation.
PI. Qui profite de l’instabilité du Moyen-Orient ?
MQ. Plusieurs groupes :
- L’industrie militaire. Les Etats-Unis sont le principal exportateur d’armes du monde et 60 % de ces exportations vont au Moyen-Orient.
- L’industrie pétrolière. Moins d’engagement des Etats-Unis dans la région pourrait signifier la fin de la dépendance pétrolière, le développement de sources alternatives d’énergie et une politique d’économie d’énergie.
- Les think–tanks de Washington et leurs employés. Pas moins de 24 de ces groupes reçoivent un financement important de la part d’intérêts particuliers, allant des industries militaires et pétrolières aux lobbies pro-israéliens.
- De nombreux responsables sionistes. Certains sont très écoutés, voire adulés, et donnent des conférences payées à prix d’or. Collectivement, ils peuvent maintenir le caractère juif de l’Etat d’Israël et empêcher des réformes démocratiques nécessaires, comme la séparation de l’Etat et de la religion ou un ensemble de mesures visant à mettre un terme au développement économique anarchique actuel.
- Les fanatiques religieux (qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans) qui croient dans les scénarios catastrophes. Ils ne tiennent aucun compte des appels sans ambiguïté de leurs religions au pardon, à l’amour et au respect de l’autre. Les colons juifs d’Hébron en fournissent un bon exemple, tout comme Ben Laden.
- Nombre de dirigeants arabes. Une solution au conflit pourrait faire sauter la première et unique justification à leurs pouvoirs dictatoriaux, qui tirent des bénéfices immenses des ressources pétrolières et des trafics d’armes et distraient leurs citoyens des problèmes locaux.
- De nombreux fonctionnaires américains [aux Etats-Unis, un certain nombre de fonctionnaires sont élus] qui reçoivent des millions de dollars sous forme de dons pour être réélus, de la part des sionistes et d’autres groupes qui profitent du statu quo. L’absence d’un conflit au Moyen-Orient pourrait les priver des fonds en provenance de certains secteurs de leur électorat habituel.
PI. Quel est le rôle et l’histoire du sionisme dans ce conflit ?
MQ. C’est l’empire britannique qui a concocté un programme politique sioniste lorsqu’il loua les services du lieutenant-colonel George Gawler (alors responsable en chef des colonies pénitentiaires en Australie). Celui-ci entreprit une étude de faisabilité d’un projet « d’établissement de colonies juives en Palestine » visant à servir les intérêts impériaux et géostratégiques de la Grande-Bretagne. Nombreux furent ceux qui critiquèrent son rapport lors de sa parution en 1845, parmi lesquels un député juif, ce qui n’a pas empêché le gouvernement de l’époque de l’adopter et de le financer. La première colonie de juifs européens vit le jour en 1880 en Palestine. Ce fut un échec complet jusqu’à la prise de contrôle physique de la région par la Grande-Bretagne après la Première Guerre mondiale. Depuis cette époque, les Palestiniens, de religions variées, ont beaucoup souffert et continuent de souffrir aujourd’hui sous la férule de l’Amérique, qui a pris le relais de la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale.
PI. Quel rapport y a-t-il entre le sionisme et l’antisémitisme ?
MQ. C’est une question que je traite en détail dans mon livre. Fondamentalement, la haine des juifs (le terme d’antisémitisme n’est pas tout à fait adéquat dans la mesure où la plupart des juifs européens ne sont pas sémites et où tous les arabophones le sont) est un phénomène européen. Cette haine s’est nourrie du patriotisme ethnocentrique qui a balayé l’Europe du XIXe siècle au début du XXe. En réaction à ce climat, les hommes les plus rationnels (juifs et non juifs) ont élaboré des idéologies universalistes, allant du socialisme à l’humanisme. Mais une minorité a choisi d’adopter le nationalisme ethnocentrique chauvin inspiré par la Grande-Bretagne, qui a pris la forme du sionisme politique qui a prospéré à partir de ses relations étroites avec d’autres formes d’ethnocentrisme, les unes et les autres se renforçant mutuellement. Voir l’ouvrage de Lenni Brenner, 51 Documents : History of Nazi Zionist Collaboration (51 Documents : Histoire de la collaboration entre les nazis et les sionistes. Non traduit)
PI. En ce qui concerne l’application du droit au retour, Israël n’a pas, jusqu’à présent, fait preuve d’une grande souplesse. Y a-t-il, dans la société israélienne, que ce soit dans les sphères politique ou civile, un discours à la fois plus ouvert et crédible sur cette question ?
MQ. Tout comme la situation que connaissait l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, il existe un état d’esprit généralisé très solidement ancré qui porte à refuser aux non juifs (chrétiens, musulmans, etc.) les droits de l’homme fondamentaux. Il y a des juifs et quelques organisations courageuses qui travaillent dur à changer cette mentalité. Quoi qu’il en soit, comme en Afrique du Sud, ceux qui détiennent le pouvoir n’abandonneront leurs rêves impossibles de séparation et de haine de l’autre que sous la pression intérieure et extérieure (boycotts, retrait des investissements, résistance, etc.).
PI. Israël a violé plus de 65 résolutions du Conseil de sécurité et en a évité 37 autres grâce au veto des Etats-Unis. Cela ne l’empêche pas de recevoir des milliards d’aide prélevés sur les impôts américains. Comment expliquer cette relation entre les deux pays ?
MQ. Selon les estimations du magazine américain Fortune, le lobby sioniste américain est le quatrième par ordre d’importance, et certainement le premier parmi ceux qui s’occupent de politique étrangère. Mais je crois qu’il y a d’autres facteurs importants que j’ai cités au début de cet entretien quand j’ai fait la liste de ceux qui profitent de la prolongation de ce conflit de basse intensité (complexe militaro-industriel, intérêts pétroliers…).
PI. Combien de temps Israël pourrait-il tenir dans son occupation illégale de la Palestine sans le soutien des Etats-Unis ?
MQ. Selon un article de l’essayiste israélien Nehemia Stessler paru dans Haaretz, sans le soutien des Etats-Unis, Israël aurait été depuis longtemps soumis à un embargo commercial et « chassé de tous les forums internationaux, pour ne pas mentionner l’Onu ». Cet Etat n’aurait donc pu tenir longtemps, dans la mesure où il dépend des importations de matières premières et des exportations d’armes (pour la plupart sous licence américaine).
PI. Quelles mesures seraient susceptibles de produire les premiers signes de paix et de démocratie dans la région ?
MQ. Il faudrait supprimer l’aide militaire et économique à Israël et le soumettre à des boycotts et à des retraits d’investissements sur le modèle de ce qu’on a fait pour l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. C’est la seule façon d’arriver à une paix juste et durable.
PI. Chaque jour, on voit à la télévision des atrocités israéliennes dans les Territoires, mais elles ne semblent guère susciter de protestations dans le pays. On a l’impression que les Israéliens soutiennent dans l’ensemble leur gouvernement. Les contestataires sont-ils partis ?
MQ. Oui, les Israéliens ont, par centaines de milliers, voté avec leurs pieds en quittant le pays. Comme je vous l’ai déjà dit, il y a encore quelques citoyens courageux qui résistent. Mais je crois qu’on aurait tort d’attendre qu’une majorité de juifs israéliens se lèvent contre les injustices et le racisme inhérent au credo politique du sionisme. En Afrique du Sud, il n’y a jamais eu de majorité de Blancs en faveur de l’abandon de l’apartheid.
PI. On fait souvent du terrorisme et de la violence – des kamikazes palestiniens – les principaux obstacles à la négociation d’une solution viable au conflit israélo-palestinien. Quelles sont, selon vous, les racines de ce terrorisme et de cette violence, et comment peut-on y faire face ?
MQ. Plutôt que la métaphore agricole de « racines », je préfèrerais en prendre une dans le domaine médical. La violence est le symptôme d’un mal latent. En Afrique du Sud, (y compris dans ses formes les plus horribles, comme de brûler vifs des gens), elle était le symptôme d’une étiologie latente qui avait pour nom apartheid. Une fois celui-ci éliminé, elle a rapidement perdu de son intensité (que ce soit celle des autochtones, ou celle de l’Etat, bien plus large et systématique). La même chose s’est produite lors des combats contre le colonialisme et l’oppression – au Vietnam (sous les férules française et américaine), en Algérie (sous l’impérialisme français) et aux Etats-Unis, quand les peuples autochtones combattaient les colons européens.
PI. Votre livre veut avant tout éclairer les enjeux de la situation actuelle pour permettre l’instauration d’une paix durable, fondée sur les Droits de l’homme et inscrite dans le droit international. Quel est le rôle de la communauté internationale, dans ce processus ?
MQ. Je voudrais dire simplement ceci : la meilleure « feuille de route », la seule qui puisse conduire à une paix véritablement juste et durable, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme. Amnesty International dit avec raison que, si les accords d’Oslo ont échoué, c’est parce qu’ils les ont ignorés. La « feuille de route » de l’administration Bush (soutenue par le « Quartet » – l’Onu, l’Union européenne, les Etats-Unis et la Russie) comprend 2 218 mots, mais il manque les quatre essentiels : Droits de l’homme, droit international.
PI. Il semble que la solution du conflit dépende aussi, dans une certaine mesure, du problème du statut de Jérusalem. A qui cette ville appartient-elle ?
MQ. Jérusalem n’appartient pas à une entité politique, mais à ses habitants (y compris ceux qui en ont été expulsés). Quand on donne la priorité aux droits humains fondamentaux (dont ceux de vivre sur sa terre et d’avoir une maison), les solutions apparaissent plus claires et plus proches. Trois religions monothéistes, comme on sait, la considèrent comme une ville sainte, mais c’est bien trop réducteur de la proclamer « juive », « musulmane » ou « chrétienne ».
PI. Qu’en est-il sur le terrain, du côté des militants de la paix dans les deux pays ? Ont-ils la capacité nécessaire pour faire évoluer de manière décisive la situation ?
MQ. Les associations de terrain sont les seules forces de changement dans toutes les sociétés. Celui-ci ne vient jamais d’en haut. Il est toujours le résulatat du travail commun de citoyens ordinaires.
La seconde partie de cette interview paraîtra dans notre numéro de septembre.
(1) Sharing the Land of Canaan – Human Rights and the Israeli-Palestinian Struggle. Pluto Press, 2004.
Interview de Marion Bloem par Felicity Eliot,
Un coup d’œil aux nouvelles du jour nous donne un aperçu assez clair des sociétés industrielles occidentales qui s’orientent dans deux directions – une faction regardant vers l’extérieur, observant les changements et les idées nouvelles, l’autre se montrant de plus en plus suspicieuse, introvertie et fermée, et surtout, rejetant tout ce qui est nouveau ou étranger.
Tandis que le chômage augmente et que l’économie périclite, les dépenses publiques diminuent et la politique d’immigration se durcit. Pendant ce temps, les médias parlent de centaines de milliers de personnes qui fuient leur pays à la recherche de sécurité, d’une chance de vivre, de nourrir et d’élever leurs enfants.
D’innombrables personnes sont arrivées mortes dans le nouveau pays, et nous entendons parler des cadavres échoués sur les plages de la Méditerranée. Qu’est-ce que peut faire un être humain ordinaire – un individu isolé et sans pouvoir – face à une telle misère ?
Marion Bloem, auteur et artiste de renom, a été sollicitée afin de prendre part à une campagne visant à attirer l’attention du public sur le calvaire des immigrés aux Pays-Bas. En compagnie d’autres célébrités, elle a été l’hôte pendant un ou deux jours d’une famille de demandeurs d’asile – une mère angolaise, sa fille et son jeune fils.
Leur histoire, faite d’injustice et de pauvreté, de violence et de profond désespoir, a conduit Marion à intervenir en leur nom et au nom des milliers d’autres demandeurs d’asile aux Pays-Bas. Elle-même est fille d’immigrés venus d’Indonésie en 1951.
Partage international : Depuis combien de temps « votre » famille de réfugiés se trouve-t-elle aux Pays-Bas ?
Marion Bloem : Depuis dix ans. La fillette a 11 ans et à présent, on leur a dit qu’ils devaient partir, ils n’ont plus la permission de rester. Mais la mère est malade, profondément déprimée et traumatisée. Des membres de sa famille ont été abattus et elle a été violée par un policier en Angola. Sa fille, qui s’occupe d’elle, va à l’école ici, aux Pays-Bas, et ne parle aucune des langues de l’Angola. J’ai demandé à la fillette ce qu’elle souhaitait étudier ; elle veut devenir avocate pour les droits de l’homme.
PI. Mais pourquoi doivent-ils retourner en Angola ?
MB. D’après les autorités, son viol n’était pas un « viol politique ».
Marion continua à parler de beaucoup d’autres réfugiés et demandeurs d’asile, racontant comment ils sont traités par l’actuel gouvernement néerlandais.
MB. Comment des gens peuvent-ils faire de telles lois et jeter à la rue des gens qui n’ont nulle part où aller ? Certaines personnes n’ont même plus de pays – certains pays ont cessé d’exister, mais des réfugiés sont quand même renvoyés vers un pays qui n’existe plus.
PI. Que peut-on faire ? Qu’est-ce qu’un « citoyen ordinaire » peut faire ?
MB. C’est pourquoi nous avons pensé au projet « Een Royaal Gebaar » (Un geste royal), qui comprend un livre et un CD portant le même titre. Il nous fallait éviter les grands médias que le gouvernement utilise pour diffuser ses mensonges.A l’occasion de la célébration du 25eanniversaire de l’accession au trône de la reine Beatrix, Marion a décidé de faire connaître le calvaire des demandeurs d’asile. Intitulée Un Geste royal, une pétition et une lettre ont été envoyées online, demandant à la Reine de marquer son anniversaire par un geste de clémence et de générosité – une amnistie générale pour les demandeurs d’asile aux Pays-Bas. En tout juste deux semaines, près de 200 000 personnes ont signé la pétition et d’innombrables autres ont écrit aux journaux, demandant que les réfugiés bénéficient d’un traitement humain. Ces réactions des néerlandais ont été réunies dans un livre sur la crise des réfugiés pour montrer que des protestations émanent de toutes les couches de la population et de tous les secteurs de la société.
Ce livre comporte en outre des faits, des chiffres et des informations montrant à quel point le gouvernement néerlandais enfreint la Convention de Genève sur le traitement et les droits des réfugiés.
MB. N’est-ce pas une ironie ? Soixante années se sont écoulées depuis la Seconde Guerre mondiale et la libération de ce pays, et il y a eu des commémorations et tout le monde se souvient de ce que c’est que d’être « libre » – mais nous devons plaider en faveur de gens qui ne sont absolument pas libres d’être traités dignement et humainement.
Je ne m’attendais bien évidemment pas à ce que la reine fasse quelque chose – je parlais de tous les Néerlandais se sentant concernés – même si, naturellement, la reine aurait pu faire quelque chose pour aider. Elle aurait pu utiliser sa position et son influence.
PI. Existe-t-il une solution à ce problème en général ?
MB. Je pense que nous devrions ouvrir les frontières nationales partout. Laissons les gens se domicilier officiellement partout où ils vivent. Ouvrons nos frontières et laissons les gens libres de décider pour eux-mêmes. Nous obtenons le plus possible de couverture médiatique et demandons aux gens de passer l’information au sujet de la campagne. Je ne voulais pas que des gens puissent dire : « Je ne savais pas ».
Marion fait remarquer qu’une partie du problème qui touche toute l’Europe est que tandis que le fossé existant entre les riches et les pauvres s’élargit, les gens craignent de plus en plus de perdre leur emploi.
MB. Nous ne sommes que des gens ordinaires qui en appelons à l’humanité et aux droits de l’homme. Nous ne pouvons pas laisser nos leaders s’en tirer. Si les gens connaissaient ne serait-ce qu’une infime partie des histoires terribles et des souffrances de ces gens qui ne cherchent qu’à vivre et à pouvoir nourrir leurs enfants ! Les Néerlandais (et les autres puissances coloniales) se rendaient partout dans le monde en prenant possession de tout ce qu’ils voulaient. Comment peuvent-ils à présent traiter les gens de cette manière ? La terre appartient à tout le monde. L’histoire devrait nous avoir appris à éduquer les gens, à lutter contre l’ignorance. Je pense que les gens ont du cœur – beaucoup continuent à visiter notre site et à signer la pétition. Et il n’y a pas de raison de cesser de signer. Nous espérons que les gens vont continuer à se faire entendre.
PI. Vous voulez dire que c’est la voix du peuple qui peut faire avancer les choses ?
MB. Oui. Si les gens sont informés, ils peuvent agir. Nous avons lancé tout cela en tant que citoyens ordinaires. Les gens peuvent faire la différence s’ils font quelque chose.
Dans ce cas et dans beaucoup d’autres, c’est à des particuliers, à des gens ordinaires, qu’il revient de relever ces défis et de résoudre les problèmes. Les réactions rapides et spontanées à nos initiatives me laissent des raisons d’espérer et de croire au peuple. Ma conviction est que si je vois quelque chose d’injuste et que je ne fais rien… alors qui le fera ?
Source : www.eenroyaalgebaar.nl