Partage international no spécialdécembre 2006

par Jeanine Miller

On ignore en général que le Nouveau Testament contient des références impliquant sans équivoque le concept de la réincarnation. Beaucoup se demandent pourquoi la Bible mentionne si peu le concept de réincarnation alors qu’il est tellement important du point de vue religieux. Une réponse évidente est que la réalité de la réincarnation allait de soi à l’époque du Nouveau Testament. Examinons les éléments qui mènent à cette conclusion.

Le premier indice montrant que cette idée « allait de soi » se trouve dans Matthieu, 11 : 13-14-15 ; 16 : 13. Jésus demande à ses disciples : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? » (Mat. 16 : 13) et les disciples répondent : « Les uns disent que tu es Jean-Baptiste, les autres Elie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes. » Comment pouvait-on penser que Jésus fût l’un d’eux, sinon dans une vie précédente ? Elie et Jérémie avaient vécu des siècles auparavant. Quant à Jean-Baptiste, puisqu’il venait d’être mis à mort, il ne pouvait s’agir de lui, mais il semble que, pour certains, son esprit avait pu inspirer Jésus. Si les gens parlaient ainsi, c’est qu’ils considéraient le concept de la réincarnation comme allant de soi. Le fait que Jésus ait posé la question montre qu’il avait conscience de l’existence de cette doctrine. Jésus lui-même révéla à ses disciples sous quelle identité Jean-Baptiste avait vécu dans le passé : « Tous les prophètes et la Loi ont prophétisé jusqu’à Jean ; et, si vous voulez comprendre, il est cet Elie qui doit revenir. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. » (Mat. 11 : 13-14-15). Ainsi Elie, selon Jésus, revint sur Terre sous la personnalité de Jean-Baptiste. Ceci est répété ou confirmé dans Mat. 17 : 12-13 : « Mais je vous dis qu’Elie est déjà venu, et qu’ils ne l’ont pas reconnu. » Les disciples comprirent alors qu’il leur parlait de Jean-Baptiste. »

Il n’y a matière ni à équivoque, ni à polémique, puisque les mots sont du Maître lui-même. Quant à son identité passée, Jésus n’éprouve pas d’intérêt à la faire connaître. Il est beaucoup plus intéressé de découvrir ce que les disciples pensent : « Mais, pour vous, qui suis-je ? » (Mat. 16 : 15). Et la réponse de Simon, disant que Jésus est le Christ, le fils du Dieu vivant, et que rien d’autre ne compte, plut au Christ qui fit immédiatement de Simon-Pierre la « pierre angulaire » de son Eglise. De fait, nos existences antérieures n’ont aucune importance et chercher nos identités passées n’est que la preuve d’un attachement inapproprié à la personnalité.

Le concept de la réincarnation n’est important, au niveau de la personnalité, que dans la mesure où il nous apprend que de nombreuses opportunités nous sont offertes sur cette Terre de pouvoir nous perfectionner. Attacher une importance excessive à la réincarnation présente de sérieux inconvénients. Cela peut soit encourager la paresse : « Je ferai un effort dans la prochaine vie », soit causer un attachement à la personnalité « J’étais Jules César » ou « Cléopâtre ». Cette attitude qui ne fait que renforcer l’ego est préjudiciable à la vie spirituelle, qui nécessite l’élimination de toute focalisation sur l’ego.

On trouve une autre allusion à la réincarnation dans une question concernant un aveugle. Le disciple demande à Jésus : « Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jean 9 : 2-3). Comment un homme pourrait-il pécher avant sa naissance, si ce n’est dans une autre vie ? Les apôtres ne demandent pas quelle sorte de péché a été à l’origine de la cécité, mais qui a péché, tenant pour certain que c’est l’acte de pécher qui a engendré ce résultat. Le péché aurait pu être commis soit par l’homme dans une existence précédente, soit par ses parents, ce qui implique à la fois que l’enfant sera puni pour les péchés des parents, conformément à la doctrine biblique, et que l’âme préexiste et payera donc pour les transgressions venant de vies antérieures.

Jésus ne rabroue pas une telle question. S’il avait tenu le concept de réincarnation pour erroné, il leur aurait répondu qu’ils disaient des absurdités. Sa réponse : « Ce n’est pas que lui ou ses parents ont péché ; mais c’est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu » (Jean 9 : 3) implique que la doctrine du karma (et donc de la réincarnation) n’est pas bien comprise et que les calamités qui s’abattent sur les hommes ne doivent pas nécessairement leur être imputées. « Que les œuvres de Dieu soient manifestées » pourrait être interprété de façon superficielle comme faisant référence au propre ministère de guérison de Jésus, afin qu’il soit démontré que lui, en tant que Dieu incarné, peut tout guérir, même la cécité de naissance. Cependant, il me semble que sa réponse a plusieurs niveaux de signification beaucoup plus profonds. Une des interprétations possibles serait que la cécité de cet homme (si nous la prenons pour une cécité physique) ne fut pas causée par le péché mais par un choix délibéré de l’âme pour son développement. De cette expérience, l’âme sortirait triomphante grâce à sa foi parfaite et sa confiance dans le « Christ » – lequel pourrait être aussi bien l’aspect extérieur, Jésus-Christ, que divinité intérieure à laquelle saint Paul fait référence quand il dit : « Mes enfants, pour qui j’éprouve de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. » (Gal. 4 : 19)

Ainsi, la doctrine du karma et celle de la réincarnation ont été trop souvent utilisées, dans les temps bibliques, comme un palliatif pour résoudre des problèmes insolubles, de même qu’elles le sont encore aujourd’hui dans certaines cultures ou communautés. Une telle déduction est plausible à la lecture de cet extrait du Lévitique : « Si un homme blesse un compatriote, comme il a fait on lui fera : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent. Tel le dommage que l’on inflige à un homme, tel celui que l’on subit. » (Lev. 24 : 19-20 ; cf. Ex. 21 : 24, Deut. 19 : 21) Dans cette expression juive de la loi, il ne semble pas y avoir place pour la transformation de l’homme, ce changement du cœur et de l’esprit qui amènerait une réaction différente. Jésus semble avoir essayé de contrebalancer cette notion d’une loi inexorable ne laissant aucune place à un changement d’attitude en l’homme, par son nouveau commandement : « Aimez-vous les uns les autres » qui prit la place de tous les autres, et qui est la Loi des lois. Il transmet la compassion, le pardon et la grâce, et implique donc la possibilité de transformation.

On trouve un passage intéressant dans Luc, concernant le karma, à propos des « Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes » (Luc 13 : 1) Dans son commentaire, Jésus déclare : « Croyez-vous que, parce qu’ils ont souffert de la sorte, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ? Non, je vous le dis ; mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous également. » (Luc 13 : 2-3). Cette phrase nous enseigne que les calamités ne sont pas réservées à ceux qui ont péché plus que d’autres, mais que nous sommes tous concernés et que ce sont nos mauvaises attitudes qui nous conduisent d’une manière ou d’une autre vers quelque infortune.

Changer ses attitudes est le but que Jésus désigna à ses disciples par ses paraboles. L’enseignement des évangiles a trait à la transformation de l’être intérieur. Dans son sens ésotérique, la remarque de Jésus à Nicodème : « Il te faut naître à nouveau », ne peut pas être interprétée comme faisant allusion à la réincarnation, mais bien à cette transformation intérieure, équivalente à une nouvelle naissance. Cela seul peut nous transmuer en des êtres nouveaux, capables d’entrer dans cet état spirituel appelé le Royaume des cieux. Tel est le rôle des évangiles et des enseignements de Jésus.

Auteur : Jeanine Miller, membre de la Société théosophique. Elle fait autorité dans la connaissance des Védas, et est l’auteur d’ouvrages sur ces anciennes écritures hindoues.
Thématiques : religions, spiritualité
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