L’évolution des groupes dans l’ère du Verseau

Partage international no 365février 2019

par Carmen Font

Dans cette série d’articles nous examinons les conditions fondamentales qui gouvernent le travail des groupes ésotériques. Benjamin Creme (BC) et son Maître ont consacré plus de quarante ans à informer le public de l’extériorisation de l’ashram des Maîtres. Comme ce travail est en bonne voie, il semble utile de revisiter les conditions présidant au bon fonctionnement des groupes de disciples, dont la vocation est de refléter une réalité intérieure dans le monde extérieur.
La « Règle Onze », donnée par le Maître Djwal Khul (DK) par l’entremise d’Alice Bailey, est la onzième d’une série de règles destinées aux disciples et aux aspirants. DK y présente les quatre conditions auxquelles les disciples appartenant au groupe d’un Maître doivent satisfaire pour parvenir à la fusion et à l’unité de groupe, préalablement à une initiation de groupe ultérieure. Ces conditions sont étudiées en détail par Benjamin Creme dans La Mission de Maitreya, tome II (MM2).
Elles sont : a) l’établissement de relations non sentimentales ; b) l’utilisation constructive des forces de destruction ; c) la capacité à travailler en tant que hiérarchie miniature dans le respect du principe d’unité dans la diversité ; d) la culture de la puissance du silence occulte. (Les Rayons et les Initiations, Alice Bailey, p. 215)

La première partie de cet article, publiée dans le numéro de décembre de Partage international, analysait le concept de silence occulte en tant que condition requise pour l’initiation de groupe en traitant en profondeur de l’un de ses aspects : l’attraction magnétique. Etaient également abordées les notions d’utilisation erronée de la pensée (par la rêverie) et le besoin de classer ses pensées dans des compartiments distincts. Dans cette deuxième partie, nous allons aborder trois autres aspects afin de compléter notre compréhension de cette pratique du silence occulte.

La « retenue ésotérique » est le second aspect du silence occulte que Maître Djwal Khul (DK) aborde dans un grand nombre des œuvres qu’il a dictées à Alice Bailey. En effet, le disciple se doit de cultiver cette réserve pour éviter que certaines connaissances ne soient communiquées à des personnes non averties, curieuses, sans scrupules ou non préparées (Il s’agit de la discrétion occulte dont parle Alice Bailey dans la revue The Beacon, 1926). Mais apprendre à ne dire que ce qui peut être connu et compris n’est peut-être pas si facile : d’ordinaire, nous  travaillons à partir « de notre mental inférieur, de notre imagination, nos désirs astraux et nos pensées non abouties », si bien que nous nous identifions aux formes que nous-mêmes créons, et aux formes-pensées imparfaites (ou immatures) que nous visualisons. En conséquence, nous avons tendance à croire que ce qui est bon ou compréhensible pour nous l’est aussi pour les autres, et à leur asséner nos idées et nos paroles. Il convient donc d’apprendre à nous détacher de nos propres idées et concepts pour éviter de tirer des conclusions hâtives ou subjectives. Cela développe cette sorte de retenue qui mène vers l’habitude de la discrétion occulte.

A de nombreuses reprises, le Maître DK nous explique pourquoi il nous faut cultiver notre propre silence, qui est l’un des aspects de la retenue occulte. Par exemple, indique-t-il, le silence « développe chez le disciple la connaissance des mobiles, car il l’oblige à considérer les raisons de parler et celles de se taire. » Cette habitude de silence occulte est proche de la pratique mystique traditionnelle du « vœu de silence » comparables à ceux des communautés monastiques, qui considèrent que se couper des préoccupations profanes renforce le sentiment de lien avec le divin et purifie les buts et émotions égoïstes. Bien que ce type de pratique silencieuse ne soit pas ce que les Maîtres recommandent pour un disciple moderne, il n’en reste pas moins que trop parler nous détourne du recueillement parfois indispensable pour « recontacter » notre espace intérieur afin de faire émerger une compréhension intuitive des mobiles, des causes et des effets. Ainsi, la pratique du silence développe en chacun l’état de méditation intérieure et la capacité d’en entendre la voix (The Beacon).

La méditation de transmission aide également à ce processus, car la focalisation sur le centre ajna contribue, avec le service, à la création de l’Antahkarana, ce canal invisible de lumière reliant le cerveau physique à l’âme. Benjamin Creme a expliqué qu’au moyen de ce pont tissé de trois fils d’énergie (Volonté, Amour-Sagesse, Intelligence), l’âme « s’empare » progressivement de son véhicule et l’aligne jusqu’à ce que soit complète la fusion entre elle-même et la personnalité – et certes le silence joue un rôle dans ce processus. « L’âme construit l’anthahkarana vers le bas, lorsque l’individu commence à méditer. De plus, par la méditation et l’aspiration, l’individu le construit également vers le haut, en direction de l’âme. Ce processus a lieu dans les deux sens. » (La Mission de Maitreya, Volume II, p. 399).

Silence et méditation

Par le recueillement, la concentration et le calme, les participants aux méditations de transmission se prêtent à la réception d’énergies qui seront bénéfiques pour le monde, tout en les transformant eux-mêmes d’une manière subtile mais puissante. Le sentiment d’unité du groupe s’en trouve renforcé. Similairement, la tension spirituelle, résultant de l’influx des énergies envoyées et reçues au cours du processus de construction de l’antahkarana, se communique également aux participants et les rend de plus en plus conscients de leur vie intérieure et extérieure. Nous méditons en silence, avec une attention élevée et concentrée, et ce silence n’est pas seulement une absence de mots : il exige du méditant qu’il se garde de toute rêverie et qu’il filtre le bruit des pensées et des sentiments qui passent. Ainsi, le méditant apprend à « conserver son énergie et à accumuler de la force  pour le service de l’humanité. » (The Beacon). En d’autres termes, les participants comprennent de mieux en mieux la relation entre pensées, paroles et actions « correctes », ce qui constitue la condition indispensable, selon Benjamin Creme, à la juste utilisation du silence et de la parole, et, surtout, de la pensée et de l’imagination créatrice – lesquelles forment la pierre angulaire du silence occulte.

L’expérience du silence n’est pas seulement une habitude, ni seulement la capacité à contrôler ses propres pensées à leur source. C’est aussi une expérience de l’Etre. Car il ne suffit pas que le disciple entraîné soit capable de s’exprimer de façon impersonnelle, en sachant quand il est juste de parler et quand il est juste de se taire : ses paroles ne seront pas parfaitement magnétiques si elles ne contiennent pas « l’énergie du vécu authentique », comme le dit Benjamin Creme (L’Eveil de l’Humanité, p. 51). En effet, si l’on tente de communiquer à un auditoire une vérité spirituelle telle que les enseignements de Maitreya, l’Instructeur mondial, « ces enseignements n’auront de sens pour les autres que s’ils sont vivants, et pour qu’ils le soient, il faut qu’ils fassent partie de votre expérience personnelle, qu’ils ne soient pas seulement une expérience livresque. S’ils ont vraiment eu un impact sur votre vie, s’ils l’ont transformée, alors vous pourrez en parler, les faire vivre et leur donner réalité en les partageant avec les autres. Sinon, c’est impossible. » (L’Eveil de l’Humanité, p. 51) C’est là une dimension intéressante du silence occulte : il implique d’utiliser correctement la pensée et d’éviter la rêverie, donc de ne créer que des formes-pensées et des idées réellement expérimentées. Sinon elles manqueront de substance vivante et ne seront qu’une sorte de rêverie intellectuelle, une concoction de raisonnements abstraits. Essayer de transmettre des idées qui ne sont pas partie intégrante de notre expérience vivante implique que l’on s’exprime à partir de la personnalité – ce qui doit être rigoureusement évité si l’on veut cultiver le silence occulte propice à l’union de groupe, comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article.

Paroles et Karma

Une dernière caractéristique de la nature et de la pratique du silence occulte – et une impérieuse raison de le cultiver –, c’est que les paroles ou les écrits engendrent inévitablement du karma, ils activent des schémas qui devront parfois être résolus. L’ancien proverbe connu dans bien des pays selon lequel « Il ne faut jamais faire de promesses inconsidérées » illustre bien cela. Souvent, nous nous exprimons sous la pression de l’instant, par exemple pour apaiser les inquiétudes de certaines personnes, ou bien notre propre sentiment d’impuissance. Ainsi, notre énergie se gaspille dans nos paroles car nous ne pratiquons pas alors l’honnêteté du mental, c’est-à-dire que nos pensées, paroles et actions ne sont pas alignées. C’est un exemple d’utilisation erronée de la parole dont la source, émotionnelle dans ce cas, influence notre personnalité en lui faisant croire à tort qu’il est approprié de parler. Notre mental inférieur s’empresse ensuite de rationaliser cette apparente nécessité de parler en créant une pensée qu’il place dans un mauvais « compartiment ». Il ne faut pas oublier que, selon Benjamin Creme (voir article précédent), l’essence du silence occulte consiste à « garder ces différents domaines de pensée, ainsi que les idées relatives aux différents domaines de vie et de travail, dans des compartiments séparés d’où vous pouvez entrer et sortir à volonté. » (Mission de Maitreya, tome II, p. 636). Ainsi, dans l’exemple précédent, même si mon désir d’aider mon interlocuteur est approprié, la forme-pensée correspondante n’est pas placée dans le bon compartiment si je ne suis pas certain de pouvoir aider cette personne. En conséquence, mes paroles risquent de déclencher de faux espoirs et des réactions hostiles de sa part, ce qu’un disciple devrait éviter.

Ainsi, selon Maître DK, si mes paroles sont irresponsables ou inadéquates, si elles sont contraignantes ou manquent d’authenticité, une certaine mesure de karma se trouve générée, qu’il faudra résoudre tôt ou tard. Le cas contraire peut également se produire : garder le silence pour des raisons de la personnalité (peur, indolence…) au moment où parler de façon non-intrusive et vivante serait responsable et opportun : cela aussi engendre un enchaînement karmique qu’il faudra résoudre.

Dans ces conditions, nous pourrions trouver qu’il est à la fois trop difficile de garder le silence et trop dangereux de parler ! Nous pourrions être tentés de trouver refuge dans les réseaux sociaux, qui donnent à des millions de gens le sentiment d’appartenir à une communauté tout en défendant ce qui leur paraît juste. Il n’y a pas de mal à cela, si l’on n’offense personne. Toutefois, la puissance du silence occulte contribue à une réelle union au sein des groupes qui dépasse de loin un simple sentiment d’appartenance : il s’agit alors d’un sentiment d’être. Cultiver le silence occulte, c’est entrer dans un processus dynamique de paroles et de retenue combinées qui complète l’entraînement des disciples, car il concerne la formation des pensées et le détachement par rapport aux réactions de la personnalité.

Les Maîtres pratiquent également le silence occulte dans leurs relations avec l’humanité. « Leurs paroles s’adressent à ceux qui viennent et qui les ont cherchés par besoin, poussés par un besoin sincère, écrit Alice Bailey. Ils parlent à leur propre peuple. » (The Beacon).Certains peuvent trouver cette manière de procéder un peu trop « exclusive » ; en réalité, elle témoigne du respect absolu des Maîtres à l’égard du libre arbitre de l’humanité. Jamais ils ne nous imposeraient un message ou des actions que nous n’aurions pas recherchés ou demandés au préalable. C’est pourquoi leurs paroles inspirent les disciples à œuvrer sur le plan physique à la réalisation du Plan d’évolution. Nous devrions nous en souvenir dans nos relations avec nos frères humains.

A la suite de cette série d’articles sur les quatre conditions requises pour parvenir à l’initiation de groupe – à savoir : l’établissement de relations non sentimentales, l’utilisation constructive des forces de destruction, la capacité à travailler en tant que hiérarchie miniature, et la culture de la puissance du silence occulte –, cette dernière condition apparaît comme un défi difficile. Dans un sens, cependant, il est moins difficile à relever que les trois autres, car il dépend largement de la discipline personnelle de chacun, et moins des interrelations dans le groupe – tout en exerçant une puissante influence sur l’unité du groupe et sur la transformation de notre monde, ce qui est tout aussi important.

Références :
Alice A. Bailey : L’Etat de Disciple dans le Nouvel Age, Tome I (Lucis Trust) ; Les Rayons et les Initiations (Lucis Trust) ; Revue The Beacon, mars 1926 (Lucis Trust) ; Le Retour du Christ (Lucis Trust)
Benjamin Creme : La Mission de Maitreya, Tome II, Partage Publication, 2017 ; L’Eveil de l’Humanité, Partage Publication, 2010.

Auteur : Carmen Font, professeur d’université et correspondante Share International. Elle réside en Espagne.
Thématiques : spiritualité
Rubrique : Dossier ()