Partage international no 113février 1998

par Bette Stockbauer

En 1945, près des rives du Nil, on déterra une jarre contenant des manuscrits qui comptent parmi les plus riches que l’on ait découverts à l’époque moderne : ceux de Nag Hammadi. A l’instar des rouleaux de la Mer Morte, découverts deux ans plus tard, cette collection de documents anciens (datant de l’an 350) contenait des textes inconnus jusqu’alors, liés au tout début du christianisme. Les manuscrits de la Mer Morte appartenaient à une branche juive du christianisme, plus ancienne, et les ouvrages de Nag Hammadi à un mouvement philosophique plus tardif, appelé gnosticisme. Depuis leur découverte, les érudits ont longuement réfléchi sur leur contenu, et se sont interrogés sur leur relation avec le christianisme originel.

Dans les questions-réponses du numéro de mai 1994 de Partage international, Benjamin Creme fait référence à ces deux ensembles de documents et affirme que leur découverte « fut inspirée par le Maître Jésus afin de donner un meilleur éclairage sur les événements de cette époque et de préparer le retour du Christ de nos jours. » Nous suggérons que les gnostiques étaient eux-mêmes éclairés par leur compréhension de la sagesse ésotérique ou « gnose » : les vérités sacrées de l’univers spirituel qui sont à la base de tout progrès humain. Les auteurs des documents de Nag Hammadi appartiennent à une longue et ancienne lignée d’instructeurs similaires qui, au cours des siècles et dans le monde entier, ont maintenu vivantes ces vérités. A bien des égards, on peut les considérer comme les véritables premiers chrétiens, les héritiers d’une sagesse traditionnelle que Jésus transmit, en secret, à un groupe choisi de disciples. Entre l’an 50 et 250, leurs idées s’épanouirent et furent tolérées dans une large mesure, mais des voix réactionnaires ne tardèrent pas à se faire entendre et, à la fin du IVe siècle, ils furent pratiquement réduits au silence et leurs écrits perdus pour l’Histoire, jusqu’à nos jours.

Dans ce dossier, nous allons étudier leur époque afin de comprendre ce qui a forgé leurs idées. Nous trouverons dans leurs écrits des évangiles tout à fait nouveaux, des enseignements sous forme de dialogues entre Jésus et ses disciples, des maximes et la description de mythes cosmologiques d’une grande portée. Ces ouvrages profondément mystiques expriment, dans le langage et le style qui leur est propre, des idées identiques à celles que l’on peut trouver dans les ouvrages d’Helena Blavatsky et d’Alice Bailey, qui ont porté le flambeau ésotérique à notre époque.

On dit souvent que les ouvrages spirituels des chrétiens gnostiques sont singuliers et bizarres. Leur terminologie est inhabituelle ; leurs concepts vont à l’encontre des idées concernant le péché, la vie après la mort et la relation entre les hommes et Dieu, qui sous-tendent la plupart des traditions occidentales. Certains affirment qu’ils haïssent le monde, qu’ils sont plongés dans une négation existentielle de la vie. D’autres pensent qu’ils vont trop loin dans leur recherche de l’extase mystique et qu’ils s’élèvent vers des cimes de félicité spirituelle dangereuses.

A leur époque, ils eurent un immense impact, en faisant connaître à des milliers de gens le message du christianisme, la nouvelle religion inspirée par le prophète Jésus-Christ. Ils enseignaient que le chemin de la libération passe par l’acquisition de la gnose, la connaissance des vérités sacrées de l’univers spirituel. Ils affirmaient que chaque être humain a hérité d’une étincelle divine, d’une petite parcelle de feu donnée par la main de Dieu. La plupart des hommes n’ont pas conscience de ce feu intérieur et vivent dans l’ignorance de leur véritable nature, mais la vie de Jésus eut pour mission de rappeler à l’humanité sa vraie dimension. Il a montré, par sa vie et par sa mort, le chemin de la liberté et enseigné les secrets de l’ascension.

Dans leurs écrits, les gnostiques parlent d’une relation ininterrompue avec Jésus, même des années après sa mort, grâce à la révélation et à la vision. Ils connaissaient les sciences de l’astronomie, de la divination et de la guérison, ainsi que les grands mystères de l’origine des hommes et de l’immortalité. Ils étaient assez courageux et hardis pour revendiquer ce qui leur revenait de droit, comme Prométhée qui vola le feu sacré des dieux.

Mais tout comme Prométhée, ils étaient destinés à payer cher leur audace car, peu à peu, leurs écoles furent condamnées, leurs voix étouffées et réduites à un simple murmure. Leurs écrits sacrés et vénérés, les paroles mystiques de leur Maître bien-aimé, furent presque entièrement détruits par l’orthodoxie chrétienne qui s’était alliée de manière irrévocable au pouvoir politique de l’Etat romain.

Les débuts du christianisme

Dans l’ensemble, nous n’avons guère de documents sur les débuts du christianisme, mais nous savons tout de même que les quatre cents ans qui ont entouré la naissance de Jésus ont été marquées par une renaissance spirituelle. Ce fut une époque, telle la nôtre, où les efforts humains tendirent vers le meilleur et le pire.

Environ 30 ans avant la naissance de Jésus, l’Empire romain s’était consolidé dans la plupart des pays entourant la Mer Méditerranée. Ses grandes routes et ses voies maritimes avaient donné aux différents peuples la possibilité de se mélanger, d’entretenir des échanges culturels et religieux. Son système de lois permettait d’unifier les populations diverses qui devaient s’y soumettre. Les deux cents premières années de l’ère chrétienne furent, d’une manière générale, des années de paix qui permirent un vaste développement des idéaux philosophiques et religieux.

Bien que Rome ait été inflexible en ce qui concerne l’obéissance à l’Etat, elle tolérait la libre expression des idées religieuses. A l’intérieur de ses frontières, on pouvait trouver des groupes adhérant au boud­dhisme venu d’Orient, au zoroastrisme persan, à la tradition hermétique égyptienne, au monothéisme juif, au culte solaire de Mithra ou à la pensée platonicienne grecque. Le gnosticisme faisait partie de ces religions. Il avait ses propres écritures sacrées et ses idées, mais il s’inspirait aussi très librement des autres traditions, développant ainsi une théologie très riche. Alexandrie était le principal centre culturel de l’Empire et sa ­bibliothèque, la plus célèbre de l’antiquité. Dans cette vaste cité, à l’embouchure du Nil, se rassemblaient des groupes de différentes cultures et de croyances variées.

Cependant, en dépit des signes extérieurs de paix et d’unité politique, au fond de l’âme romaine une guerre morale faisait rage. L’immensité des richesses accumulées par les couches élevées de la société, l’injustice de l’impôt écrasant les paysans, l’esclavage largement répandu et le manque de respect pour la vie humaine étaient devenus de tels facteurs de décadence qu’ils en détruisaient le cœur de la nation.

C’est pourquoi de nombreux groupes s’efforçaient de lutter contre la corruption généralisée par un retour à une moralité plus élevée. Dans tout l’Empire, dans les déserts et les forêts, de petites communautés de chercheurs spirituels commençaient à se rassembler. Ils menaient souvent une vie ascétique, décidés à faire face à la dissolution de la culture, dont ils étaient témoins. Dans des cités comme Alexandrie, étaient nées des écoles de philosophie, et des professeurs d’une grande valeur morale essayaient d’inculquer à leurs étudiants un idéal élevé.

Au fil du temps, la voix des groupes chrétiens fut l’une des plus fortes à condamner les maux de l’Empire. Ils enseignaient la simplicité et le partage communautaire. Ils décriaient le sort des pauvres et des opprimés et dénonçaient l’esclavagisme et la brutalité des jeux romains de gladiateurs qui massacraient les plus défavorisés par milliers. Beaucoup de mécontents rejoignirent leurs rangs. Rome avait toujours réduit au silence les contestataires populaires, soit par la mort, soit par la corruption. Mais les chrétiens étaient différents des autres. Ils ne craignaient pas la mort et restaient insensibles à la corruption, et leur nombre ne cessait de croître, en dépit de persécutions rigoureuses et généralisées. Et, aux alentours des années 300, il devint évident que, sur le plan moral, le vent avait tourné. La foi nouvelle focalisait les idées d’un nouveau cycle d’évolution, un cycle qui commençait à mettre l’accent sur les droits de l’homme et l’égalité pour tous. Il s’agissait d’une voix que Rome ne pouvait réduire au silence.

Des conversions commencèrent à se produire dans les classes supérieures et chez les politiciens. Finalement, étant donné qu’elle avait toujours su percevoir où se trouvait le pouvoir dans une société et l’utiliser à son avantage, Rome céda. En 325, sous l’empereur Constantin, le christianisme fut admis en tant que religion officielle. Une union venait de naître qui allait transformer, de façon permanente, à la fois Rome et l’Eglise. D’un côté, Rome entreprit certaines réformes afin de libérer les classes inférieures de leur servitude. Mais, du côté chrétien, l’influence du pouvoir romain fut peut-être trop grisante, car les chefs religieux commencèrent à manifester une avidité pour la richesse et le pouvoir, identique à celle qui avait tellement corrompu le pouvoir romain. Cette nouvelle classe des dirigeants de l’Eglise commença à accumuler des richesses et à exercer son autorité d’une main de fer sur les congrégations.

Au sein de ce courant d’idées et de factions rivales, la flamme gnostique brilla d’un vif éclat pendant une brève période. Au cours des deux premiers siècles de l’ère chrétienne, elle connut un moment de triomphe et se répandit rapidement sur le pourtour oriental de la Méditerranée. Elle influença principalement les intellectuels et les philosophes, attirant dans ses rangs des fidèles plus instruits que ceux des sectes appartenant au courant dominant, souvent composées de paysans et d’esclaves.

Lorsque les groupes les plus orthodoxes commencèrent à s’organiser autour de chefs religieux demandant une stricte adhésion aux règles nouvellement établies, les gnostiques furent discrédités. Etant donné qu’ils avaient toujours préconisé l’absolue nécessité de la liberté individuelle dans la recherche du salut et qu’ils refusaient de se soumettre à toute autorité autre que la leur, ils ne tardèrent pas à être considérés comme des renégats, dangereux pour le pouvoir croissant de l’Eglise de Constantin. En conséquence, ils devinrent l’objet de dédain et de persécutions, pas tellement de la part des forces extérieures à la communauté chrétienne, mais de la part de cette communauté à laquelle ils avaient eux-mêmes appartenu autrefois. Nous étudierons plus longuement le jeu des relations entre l’Etat romain, les instances dirigeantes de l’Eglise et les gnostiques.

Les instructeurs gnostiques

Bien que nous disposions de beaucoup d’informations sur nombre de personnages et sur les événements de l’époque romaine, on sait peu de chose de la vie des instructeurs gnostiques, car on a fait disparaître toute trace d’eux-mêmes et de leurs écrits. C’est seulement la découverte de manuscrits, à l’époque moderne, qui aura permis de reconstituer peu à peu une image plus exacte de leur vie et de leurs idées. Nous allons essayer de décrire quelques-uns d’entre eux parmi les plus remarquables.

H. P. Blavatsky estime que l’apôtre Paul fut le premier à comprendre que la vie du Christ symbolisait le sentier de l’initiation. La déclaration de Paul : « Christ en vous, l’espérance de la gloire » (col. 1 : 27) montre bien qu’il croyait que le Christ était venu dans le monde non seulement dans un but de rédemption personnelle, mais en tant qu’exemple, afin d’illustrer une voie de rédemption que chacun peut suivre s’il souhaite contribuer à l’élévation du monde. Tout individu peut, comme Paul l’exprime clairement, connaître finalement une gloire identique à celle du Christ. L’influence de Paul fut à l’origine même du mouvement gnostique.

Simon le Magicien (Actes 8 : 9-24) était un contemporain de Paul connu pour ses pouvoirs magiques. Pour cette raison, les anecdotes concernant sa vie sont fantastiques et étranges, mais de nombreux historiens affirment que les sectes postérieures ont subi son influence. H. P. Blavatsky dit de lui que c’était un puissant faiseur de miracles occultes, comme bien d’autres gnostiques (la Doctrine secrète V, pp. 131-136). Ménandre, disciple de Simon, était également connu pour sa pratique de la magie transcendantale. Il apporta les enseignements gnostiques à Antioche, ville d’Asie Mineure, où se développa une solide communauté chrétienne.

Saturnin de Syrie était un ascète qui enseigna également à Antioche, au début du IIe siècle. Cérinthe (milieu du Ier siècle), venu d’Asie Mineure, enseigna des idées concernant le Dieu inconnu et l’adom­brement de Jésus par le Christ. Carpocrate (env. 117-138) était à la tête d’une école gnostique à Alexandrie et Marcelline, une de ses disciples, répandit ses enseignements à Rome, aux environs ­de 160. Tels furent les premiers instructeurs dont on ait conservé ­la trace. On en connaît davantage sur les trois géants du gnosticisme : Basilide, Marcion et Valentin2.

Un « enseignement secret »

H.P. Blavatsky dit au sujet de Basilide que « les fondateurs des autres sectes gnostiques se regroupèrent autour de lui, comme un système de planètes empruntant la lumière de leur soleil » (Isis dévoilée III, pp. 176). Clément d’Alexandrie, troisième évêque de Rome, le dépeint comme « un philosophe voué à la contemplation des choses divines » (Isis dévoilée III, p. 141). Basilide affirmait que l’« enseignement secret » de Jésus lui avait été révélé par l’apôtre Matthias et qu’il l’avait reçu également de Glaucus, interprète de Pierre. Il était versé dans la sagesse hellénique, égyptienne et hébraïque. Aux environs de 130, il rassembla un groupe d’étudiants à Alexandrie.

Ecrivain prolifique, on raconte qu’il écrivit un Evangile ainsi qu’un ouvrage ­­en 24 volumes intitulé Interprétation des Evan­giles, et qu’il composa des poèmes et des chants. De tout cela, il ne reste que quelques fragments, dont une prière au Dieu inconnu. On raconte que dans son école on célébrait ­­­le baptême de Jésus, ce qui montre que l’on comprenait la nature de l’adombrement de Jésus par le Christ. Après sa mort, son disciple Isidore poursuivit son œuvre.

Un vin nouveau

Marcion était un riche armateur qui vécut sur la côte sud de la Mer Noire. Il occupa la charge d’évêque, comme son père, et vécut à Rome aux environs de 155. Ses enseignements étaient basés sur ceux de Paul et il rejetait la plupart des Evangiles qui circulaient à l’époque. Il est peut-être mieux connu pour son rejet total de l’Ancien Testament.

Son désaveu venait de son objection au Dieu des Juifs. Il affirmait que Jéhovah était certainement un Dieu juste, mais que le Dieu de Jésus, tout en étant juste, était également bon. Afin d’illustrer ce point de vue, il rassembla méticuleusement les paroles et les actes attribués à Jéhovah dans l’Ancien Testament et les mit en parallèle avec les paroles de Jésus. Le contraste frappant entre les deux lui servit à étayer ses affirmations.

Il exprima ainsi une partie des idées nouvelles qui se répandaient dans les sectes ayant des attaches juives. Le Dieu vengeur, de colère et de châtiment, ne correspondait plus aux idées nouvelles de la pensée chrétienne. Le vin nouveau nécessitait une nouvelle outre.

Un génie

Valentin (env. 100-175) était philosophe, chef religieux et instructeur. Il écrivit des sermons, des hymnes, des récits mystiques, des lettres, des poèmes et des ­psaumes. Il était le plus renommé de tous les philosophes gnostiques, et était connu pour son éloquence et le génie de ses conceptions théologiques, dérivées d’un mélange d’éléments platoniques, hermétiques, juifs et chrétiens. Il naquit à Prénobis, dans le delta du Nil, et il fut éduqué à Alexandrie où il enseigna au début du IIe siècle. On raconte que lui-même avait reçu les enseignements de Theudas, disciple de Paul.

Nous savons qu’à un moment donné il se rendit à Rome, espérant peut-être être élu évêque, tant sa renommée était grande. Son échec à cet égard laisse à penser que les voix orthodoxes étaient déjà prédominantes. Néanmoins, il fut largement suivi sur le pourtour oriental de la Méditerranée et il enseigna sa philosophie à de nombreux intellectuels éminents, notamment à Ptolémée, Héracléon, Théodote et Marc.

Connu pour ses qualités de médiateur, Valentin s’efforça de réconcilier l’Eglise romaine et les branches plus radicales du gnosticisme. « L’Evangile de Vérité », trouvé à Nag Hammadi, lui est quelquefois attribué. Des branches publiques du valentinianisme survécurent jusqu’au IVe siècle, et certaines continuèrent probablement à pratiquer, en secret, pendant quelques siècles. Son successeur, Marc, dirigea des cérémonies liées aux cultes des anciens mystères et il affirma qu’une révélation lui avait montré comment transposer tout le système valentinien en nombres et en lettres1.

Les hérésiologistes

L’orthodoxie catholique ayant si soigneusement effacé les traces de la pensée gnostique originelle, la seule connaissance que nous en ayons nous est parvenue à travers le regard de ses pires opposants, les pères de l’Eglise, qui condamnèrent brutalement tous les groupes qui ne se conformaient pas à la pensée officielle. La découverte des nombreux ouvrages gnostiques cachés à Nag Hammadi, éveilla un immense intérêt chez les érudits, qui voulurent vérifier la validité du point de vue orthodoxe concernant les idées gnostiques.

Les premiers pères de l’Eglise sont connus de l’Histoire en tant qu’hérésiolo­gistes. Nous allons évoquer les plus influents d’entre eux.

Irénée, évêque de Lyon (env. 130-200), rédigea un long traité en cinq volumes, Exposé et réfutation de la soi-disant Gnose, dont l’intitulé fut abrégé par la suite pour devenir tout simplement Contre les hérésies. Dans cet ouvrage, il tente de classer de manière systématique les sectes et leurs fondateurs, mais ce travail se transforme en une attaque longue et fastidieuse. Il affirme que « son but est non seulement de montrer, mais d’attaquer la bête par tous les moyens ». L’œuvre d’Irénée devint surtout une importante source d’information pour les autres hérésiologistes.

On attribue généralement au théologien Hippolyte de Rome (env. 170-236) l’ouvrage intitulé Réfutation de toutes les hérésies. La plus grande partie de cet écrit fut considéré comme perdu jusqu’à ce qu’en 1842, un manuscrit soit découvert dans un monastère du mont Athos (voir ­­Isis dévoilée III, p. 2 » pour un corollaire intéressant). Dans cet ouvrage, il essaie de discréditer les idées gnostiques en montrant que leur origine remonte aux systèmes philosophiques grecs, considérés par les responsables religieux comme « païens » et par conséquent hérétiques. En retraçant ces influences, non seulement il décrit 33 systèmes gnostiques, mais il donne un aperçu des idées grecques concernant l’astrologie, la magie et le système religieux.

Tertullien (env. 150-225), apologiste chrétien et écrivain, a rédigé un traité qu’il a intitulé : Appel à la poursuite des hérétiques. Il ne s’agit pas tant d’une condamnation de l’hérésie que d’une apologie de la foi orthodoxe. Il revendique ce qui par la suite servira de cri de ralliement pour l’Eglise officielle : la succession apostolique directe. Tous ceux qui pouvaient affirmer que leurs enseignements venaient directement des apôtres exerceraient leur autorité sur ceux qui ne pouvaient en dire autant. Bien que de nombreux instructeurs gnostiques aient affirmé, eux aussi, que leurs enseignements venaient de celui des apôtres, les hérésiologistes n’accordèrent aucun crédit à leurs affirmations.

Clément d’Alexandrie, ainsi qu’Origène, théologien et enseignant (env. 185-254), ont également écrit contre l’hérésie. Leur position montre la relative flexibilité de l’Eglise à ses débuts, car les écrits de ces deux théologiens ont bien des points communs avec la pensée gnostique. Origène est tout particulièrement connu pour sa croyance en la réincarnation. Quelques siècles plus tard, lui-même et ses écrits seront condamnés par l’Eglise.

Sur la disparition des gnostiques
« …nous limitons notre défense aux sectes chrétiennes dont les théories sont généralement regroupées sous le nom générique de gnosticisme. Ce sont celles qui sont apparues immédiatement après la crucifixion présumée et se sont maintenues jusqu’à ce qu’elles soient presque totalement exterminées, sous la loi rigoureuse de Constantin. Ce qu’on leur reprochait surtout, c’étaient leurs idées syncrétiques, car à aucune autre période de l’Histoire, la vérité n’a eu aussi peu de chances de triompher qu’en ces jours de calomnie, de mensonge et de falsification délibérée des faits. » (Isis dévoilée III, p. 365)

Les découvertes de Nag Hammadi

Les documents trouvés à Nag Hammadi firent leur apparition pour la première fois au Caire, en 1946, lorsque Togo Mina, directeur du musée copte, acheta un des manuscrits pour 250 livres égyptiennes. Togo Mina et Jean Doresse, égyptologue français, jugèrent que la découverte avait une grande importance historique et ils s’efforcèrent ensemble de réunir le reste de la collection. En 1948, le monde fut mis au courant de la découverte, mais cette annonce ne fit pas grand bruit.

En 1950, J. Doresse partit à la recherche du site originel de la découverte, à Nag Hammadi, à 448 km au sud du Caire. Des paysans de la région lui indiquèrent le site de l’ancienne ville de Chenosboskion. Son ancien nom copte, Shenesit, signifie « acacias du Dieu Seth ». Il est possible que le nom ait été choisi par un groupe gnostique, car dans bon nombre de leurs Ecritures ils honorent Seth et affirment descendre de lui qui, disent-ils, était le fils juste d’Adam et Eve.

Les influences qui ont visiblement survécu dans cette région sont égyptiennes et chrétiennes orthodoxes. La jarre contenant les manuscrits a été déterrée dans un cimetière chrétien abandonné, au pied d’une montagne appelée Gebel el-Tarif. Dans les falaises situées au-dessus, se trouvent des grottes qui ont servi de sépulture aux anciens dignitaires égyptiens. Tout près de là, se trouvent les ruines d’un monastère établi par saint Pacôme, connu dans l’histoire de l’Eglise comme l’un des « pères du désert » qui établirent des communautés monas­tiques dans le désert égyptien. C’est peut-être la pression exercée par de telles communautés, largement répandues et connues pour leur stricte orthodoxie, qui poussa les gnostiques à cacher leurs manuscrits. On a conservé une lettre du successeur de Pacôme, datée de 367, condamnant les écrits hérétiques. Cela correspond à la date des manuscrits qui ont été découverts.

Les documents trouvés sont appelés « codex ». Reliés de cuir, ils sont l’avant-garde du livre moderne. A cette époque, le codex avait commencé à remplacer le rouleau parce qu’il était plus résistant et plus facile à lire. Il y avait au total 13 codex, contenant 52 traités (textes séparés). Quarante d’entre eux étaient totalement nouveaux pour le monde moderne. Ils étaient rédigés en copte, la langue égyptienne écrite en caractères grecs, et probablement traduits d’un texte original grec.

En raison de la situation qui régnait en Egypte après la Seconde Guerre mondiale, toutes les tentatives faites pour traduire et publier les codex de Nag Hammadi furent vouées à l’échec. Ce fut une immense frustration pour les spécialistes des écrits bibliques qui savaient que les codex apporteraient une réponse à d’importantes questions historiques. En dépit des efforts répétés de T. Mina et de J. Doresse, il fallut attendre trente ans avant que les écritures gnostiques ne soient correctement traduites. Le théologien américain James Robinson joua un rôle décisif en confiant finalement la traduction des textes à une équipe. The Nag Hammadi Library (la collection de Nag Hammadi), publiée en 1977, est le résultat de cet effort.

Un théologien identifie des fragments d’un « Evangile perdu »
Un professeur américain et l’un de ses collègues ont identifié des fragments d’un « Evangile perdu » contenant des conversations entre le Christ et ses disciples. Paul Mirecki, professeur de religion à l’Université du Kansas, a affirmé être certain que le texte était l’un des premiers comptes rendus authentiques des enseignements du Christ.
Cet Evangile récemment découvert met fortement l’accent sur la connaissance individuelle, incitant ses lecteurs à rejeter les limites de la religion institutionnelle. « Il s’agit d’un texte non orthodoxe… Ces hommes trouvent le salut par la connaissance plutôt que par la foi », déclare Paul Mirecki.
Il indique que ce manuscrit est écrit en Copte, ancienne langue égyptienne utilisant l’écriture grecque. Il s’agit probablement de l’œuvre d’un groupe de premiers chrétiens appelés gnostiques, ou « connaissants », d’un « évangile de dialogues » qui rapporte les paroles que Jésus aurait échangées avec ses disciples après sa résurrection.
Paul Mirecki a découvert le manuscrit en 1991, dans le vaste musée égyptien de Berlin et il vient seulement de finir d’en rassembler les fragments. Il ignore comment ce manuscrit est arrivé jusqu’au musée.
Paul Mirecki affirme que cet évangile a été écrit au Ier ou au IIe siècle. « De nombreux évangiles ont été écrits au cours des deux premiers siècles. Le texte est […] semblable à des textes similaires qui sont appelés évangiles. La manière d’écrire et le contexte correspondent. » Il ne reste que 15 pages du manuscrit original. D’après P. Mirecki, il a probablement été brûlé avec d’autres ouvrages interdits au Ve siècle.
Paul Mirecki a traduit et édité ce manuscrit. Son ouvrage devait être publié, au cours de l’été 1997, chez Brill Publishers, aux Pays-Bas. (Source : Reuters)

1 – Benjamin Creme a confirmé que l’Evangile de Vérité et la Pistis Sophia (un autre document gnostique égyptien, acquis par le British Museum en 1785) ont été composés par Valentin (P. I., avril 1997). (NdlR)

2 – Basilide : A : 3 ; P : 4/6 ; M : 3/7 ; As : 4/6 ; Ph : 3/7. NE : 1,57
Marcion : A : 2 ; P : 6/4 ; M : 7/2 ; As : 4/6 ; Ph : 3/7. NE : 1,5
Valentin : A : 6 ; P : 1/6 ; M : 3/7 ; As : 2/4 ; Ph : 7/3. NE : 1,6


L’ésotérisme gnostique

Au contact des textes gnostiques, on est immédiatement frappé par les nombreux concepts qui s’enracinent dans la tradition ésotérique. Sans cette clé, les écrits sont difficiles à saisir, mystérieux et quelquefois incompréhensibles. Bien que certains textes affirment être des enseignements secrets, il est probable qu’il existait un enseignement plus secret encore, partagé par un cercle réduit de disciples, et consigné dans un manuscrit unique ou transmis oralement. Afin de mieux comprendre le sens de ces écrits, nous allons tout d’abord esquisser certaines idées tirées des ouvrages d’Helena Blavatsky et d’Alice Bailey. Elles nous fourniront un cadre dans lequel nous pourrons examiner la pensée gnostique. Nous pensons en effet que ces idées expriment les mêmes vérités que les enseignements gnostiques.

Le Dieu inconnu

La religion chrétienne telle que nous la connaissons n’a jamais vraiment encouragé les recherches sur la nature de Dieu. Elle a toujours mis l’accent sur Jésus, Fils de Dieu, deuxième aspect d’une Trinité originelle. Au-delà du fait d’attribuer la création à cette Trinité, les idées restent nébuleuses en ce qui concerne sa nature et son mécanisme.

Au contraire, toute tradition ésotérique accorde un grand intérêt aux idées cosmologiques et offre une perspective d’une grande complexité. Particulièrement importante, dans cette approche, est la distinction faite entre le Dieu le plus élevé et les Dieux de manifestation. Le Dieu le plus élevé ou Dieu inconnu ne peut jamais être décrit parce que notre esprit limité est totalement incapable d’en comprendre la nature. On peut seulement décrire ce qu’il n’est pas. Il met en mouvement le processus de la manifestation et demeure en tant qu’énergie sous-jacente mais, à aucun moment, il ne joue un rôle actif dans la création sur le plan physique. Tout ce que nous savons du Dieu inconnu, c’est qu’« il montre sa face de temps en temps ».

Nous présumons que le Dieu inconnu est l’essence de la perfection. Mais la création matérielle, bien qu’elle soit une réflexion du Dieu inconnu, ne peut jamais être considérée comme parfaite. Il existerait donc une sphère incréée d’unité et de perfection et une sphère créée de manifestation physique. Lorsque le processus de manifestation se met en route, du Dieu inconnu provient le germe de matière de la création future. Il implante une étincelle de vie dans ce germe de matière afin de l’éveiller et c’est ainsi que commence l’évolution des systèmes solaires et des mondes. Symboliquement, de la première union de l’esprit masculin et de la matière féminine, naît un fils. C’est la première trinité primordiale.

Puis la création se déroule par étapes. Des forces ou entités, appelées émanations, forment et occupent les couches nombreuses et variées de la création. Ces couches sont appelées plans et sont disposées par paliers, comme une échelle, du niveau le plus élevé jusqu’au niveau le plus dense et le plus matériel. Chaque plan supérieur donne naissance à celui qui se trouve immédiatement au-dessous. Chaque couche supérieure offre une image de perfection qui sert de but à la couche inférieure. Plus on s’éloigne du Dieu originel, plus la création devient imparfaite et impure.

De même, alors que le Dieu inconnu est essentiellement un, la matière dense de la manifestation est caractérisée par une extrême différenciation et une extrême séparation. Ce mouvement descendant, procédant de l’unité essentielle du Dieu inconnu originel jusqu’à la vaste séparativité de notre univers manifesté est appelé l’arc d’involution. A la fin du processus d’involution, lorsque la matière atteint son niveau le plus dense, le processus s’inverse et ce qui était extrêmement différencié retourne à l’unité qui lui avait donné la vie. C’est ce que l’on appelle l’arc d’évolution.

C’est cette interaction constante entre l’esprit et la matière, l’unité et la séparativité, l’involution et l’évolution, qui produit une région intermédiaire, celle de la conscience, qualité totalement nouvelle qui naît de l’interaction entre les deux pôles opposés. Il s’agit essentiellement d’un phénomène électrique, de l’interaction entre les polarités positives et négatives qui crée (comme dans une ampoule électrique sur notre plan physique) la qualité de lumière ou conscience. Tel est le dynamisme qui propulse l’évolution.

Un système solaire de Rayon 2

Les sept rayons sont les sept courants de l’énergie divine universelle, chacun étant l’expression d’une grande Vie, et leur interaction, à tous les niveaux de fréquences possibles, crée les systèmes solaires, les galaxies et les univers. Le mouvement de ces énergies, procédant par cycles en forme de spirales, amène tout l’Etre dans la manifestation et hors de manifestation, le ­colorant et l’imprégnant des qualités et ­attributs de chaque rayon spécifique.

Le Maître D. K. affirme, par l’intermédiaire d’Alice Bailey, que le système solaire précédent, qui a donné naissance au nôtre, était un système de 3e rayon, exprimant l’aspect nettement matériel de l’intelligence active. Notre système actuel de 2e rayon s’efforce de parfaire l’expression plus pure et plus spirituelle de l’amour-sagesse. Lors de sa prochaine incarnation, le système solaire exprimera la qualité encore plus pure du 1er rayon de volonté. Sachant cela, nous pouvons comprendre que le système solaire lui-même est sur l’arc d’évolution et qu’il évolue vers une expression spirituelle de plus en plus unifiée.

Lorsque l’évolution se dirige ainsi vers le haut, il existe toujours une grande résistance au changement. Les forces inférieures essaient de maintenir une tendance séparatiste, alors que les forces supérieures s’efforcent de trouver une forme d’expression plus unifiée. Toute la dualité, l’éternel conflit entre le bien et le mal, vient de cette interaction ; lorsque l’inférieur refuse de céder et d’évoluer vers le supérieur, il en résulte le mal. Cette dualité pervertit la création. L’humanité est sans cesse confrontée au défi d’exprimer une vérité spirituelle plus juste malgré la résistance inhérente à la matière elle-même. Finalement, elle doit prendre une décision personnelle et choisir de surmonter cette résistance si elle souhaite accéder à un niveau supérieur. Cependant, si elle choisit l’apathie, elle peut négliger de nombreuses possibilités de s’élever.

En gardant ces idées présentes à l’esprit, peut-être nous sera-t-il plus facile de comprendre la dualité des gnostiques. Ils connaissaient la nature de la création et les défis proposés à l’humanité au sein de cette création. Ils acceptaient le fait que toute évolution, qu’elle soit matérielle ou spirituelle, fasse tout simplement partie d’un plan plus vaste, mais ils savaient également que le moment était venu pour eux de surmonter la résistance de l’existence matérielle et de s’orienter aussi complètement que possible vers la vie spirituelle.

La vision du monde des chrétiens gnostiques

Les écritures gnostiques sont de trois sortes : des ouvrages cosmologiques ésotériques, des évangiles relatant des dialogues entre Jésus et ses disciples, et des livres d’éthique renfermant des maximes et des enseignements. Certains ouvrages combinent ces trois aspects. Par leur complexité, leur envergure et leur profondeur de vues, ils vont bien au-delà de nos enseignements bibliques. Un érudit a dépeint leurs efforts comme n’étant rien de moins qu’une tentative de retracer la pensée de Dieu. Les gnostiques étaient des groupes de penseurs dont la tête était, presque littéralement, dans les nuages et les yeux fixés sur les étoiles.

Dans cette partie de notre étude, nous allons examiner leurs enseignements et voir quelles sont les analogies avec notre propre tradition ésotérique. Il est intéressant de noter qu’ils parlent peu de la réincarnation, probablement parce que c’était une hypothèse implicite des religions de l’époque. Ils acceptaient sans doute l’idée du retour cyclique des Avatars et comprenaient que l’œuvre du Christ en était une illustration. Nous savons qu’ils faisaient la distinction entre le Dieu inconnu et les hiérarchies inférieures car, comme nous allons le voir, cette question fut à leur époque une source de grande discorde.

Eons, archons et émanations

Les gnostiques s’inspirèrent beaucoup du concept bouddhiste de la nécessité de vaincre le désir. Ils étaient parfaitement conscients de toutes les influences qui pouvaient les rattacher à la vie physique. Parmi elles, le monde des passions, que ce soit l’argent, le sexe, l’alcool ou la renommée. Ils étaient également conscients des influences invisibles qui, au-delà des tentations évidentes de la chair, les maintenaient en esclavage. Un concept gnostique qui, plus tard, devait susciter la haine des hérésiologistes, était celui des émanations.

Les gnostiques affirmaient que tout l’univers spirituel et matériel est peuplé d’innombrables entités qui composent les différents niveaux d’existence, et qui ont toutes été successivement créées par une Trinité originelle primordiale.

Les gnostiques donnent le nom d’éons aux classes supérieures d’habitants, ceux qui attirent l’humanité vers le haut. Quant aux habitants des classes inférieures, celles qui se situent au-dessous du niveau du règne humain, ils les appellent archons. Ces entités sont dépeintes comme jalouses de l’état supérieur atteint par l’humanité, et essayant constamment de la faire retomber dans un règne inférieur plus matériel. En lisant les descriptions gnostiques du cosmos, on rencontre une profusion stupéfiante de telles entités, aux noms étranges et inhabituels. Dans le Traité sur le Feu cosmique, du Maître D. K., transmis par l’intermédiaire d’Alice Bailey, nous retrouvons le même foisonnement, les mêmes descriptions de forces supérieures qui influencent l’humanité en bien ou en mal. Le but des gnostiques était de parvenir, par leur démarche spirituelle, à se soustraire à l’influence des archons et à apprendre à manipuler les ­forces inférieures plutôt que d’être constamment à leur merci. Ils pouvaient ainsi participer au processus de création.

Le discrédit du Démiurge

En Palestine, à l’époque de Jésus, les gens, d’une manière générale, pensaient que Dieu observait avec beaucoup d’attention leur vie privée. Le succès personnel était considéré comme une preuve de droiture, l’échec et le malheur comme la punition de mauvaises actions. Le culte était donc avant tout un moyen de se concilier les bonnes grâce de Dieu. Les prêtres juifs exerçaient une emprise très forte sur l’esprit du peuple. Leurs temples étaient le centre de sacrifices rituels, et les fidèles faisaient des dons importants afin d’apaiser la colère divine.

En se libérant de cette vision religieuse étroite, les gnostiques se trouvèrent confrontés au concept juif de Dieu. Etant donné que les descriptions bibliques en font un Dieu jaloux et courroucé, ils introduisirent l’idée que Jéhovah, à qui ils donnaient le nom de Démiurge (du grec : demiourgos, bâtisseur ou travailleur public) n’est pas le Dieu le plus élevé, le Dieu inconnu qui est au-dessus de tous les autres, mais un dieu situé au-dessous. Il est simplement l’une des émanations inférieures, le créateur de la planète Terre physique et, bien que puissant dans sa propre sphère de création matérielle, dans l’ensemble de l’univers il occupe un plan très bas sur l’échelle de l’évolution. Ils affirmaient qu’en fait l’humanité pourrait surpasser le Démiurge en réalisation spirituelle.

H. P. Blavatsky exprime cette même idée des créateurs inférieurs et supérieurs (émanations) dans son concept de hiérarchies créatrices, de classes d’êtres ou d’entités qui ont la responsabilité de construire les différents règnes et les différentes formes de la vie manifestée. Elle affirme qu’il existe sept hiérarchies qui façonnent notre monde actuel. Les quatre hiérarchies inférieures sont responsables de la création purement physique, le monde des formes visibles à nos yeux. Les trois hiérarchies plus élevées, par contre, ne peuvent travailler sur le plan physique. Elles créent dans la matière subtile, donnant naissance à la pensée, à l’intuition et aux facultés spirituelles que le règne humain commence tout juste à ressentir.

Elle affirme que Jéhovah appartient à l’une des classes inférieures de créateurs. Il est capable de créer l’homme purement physique, mais il ne peut lui donner l’étincelle du mental et de l’âme qui lui permettront de devenir vraiment humain. Cette étincelle divine doit venir d’un plan plus élevé. C’est dans ce sens que les gnostiques pouvaient déclarer (affirmation choquante pour l’époque) que l’humanité était capable de surpasser Jéhovah, le Démiurge.

Etant donné que l’humanité a été dotée d’une âme, façonnée par l’ordre le plus élevé de créateurs, elle appartient à un ordre d’évolution qui se situe au-delà du plan physique et peut, par conséquent, espérer atteindre les sommets du règne spirituel. Les gnostiques considéraient que ceux qui adoraient le Démiurge étaient centrés sur le plan matériel ; qu’ils n’avaient pas encore trouvé le lien qui les unissaient à l’univers spirituel. C’est le stade d’évolution humaine qui marque la transition entre le monde inférieur du plan physique et un règne spirituel plus élevé.

De tels concepts ne pouvaient que susciter un grand ressentiment dans les cercles juifs aussi bien que chrétiens et rendre plus difficiles les relations déjà très limitées avec ces groupes, mais peu de personnes étaient capables de saisir les subtiles distinctions faites par les gnostiques. Leur compréhension de Dieu se situait à un niveau mystique et demandait une maturité beaucoup plus grande. Au lieu d’être soumis aux caprices divins, ils considéraient l’homme lui-même comme un dieu potentiel, capable d’assumer un certain pouvoir sur le monde physique. C’est ainsi que Jésus pouvait guérir les malades et marcher sur l’eau. Les gnostiques comprenaient ce genre de choses.

L’adombrement selon Irénée
Irénée raconte que l’instructeur gnostique Cérinthe (comme d’autres gnostiques) a enseigné que « Jésus n’était pas né de la Vierge, mais qu’il était le fils de Joseph et Marie, semblable aux autres hommes, mais supérieur par sa vertu, son intelligence et sa sagesse. Après le baptême, le Christ descendit sur lui, sous la forme d’une colombe, envoyé par celui qui est au-dessus de toute chose, et après cela, Jésus-Christ proclama le Père inconnu et accomplit des miracles. Mais à la crucifixion, le Christ quitta Jésus qui (seul) souffrit et ressuscita ; le Christ étant un être spirituel, il ne put être mis à mort ». (Gnosis, p. 165)

L’adombrement par le Christ

Les gnostiques étaient nombreux à accepter l’idée que le Christ avait occupé le corps de Jésus, du Baptême à la Crucifixion. Irénée raconte que Cérinthe et d’autres instructeurs comprenaient ce concept de la manière suivante :

« Jésus n’était pas né d’une vierge, mais il était tout simplement le fils de Joseph et Marie. Il ressemblait aux autres hommes, mais faisait preuve de davantage de vertu, d’intelligence et de sagesse. Après le baptême, le Christ descendit du monde spirituel sur Jésus sous la forme d’une colombe et, à partir de ce moment-là, il annonça le Père inconnu et accomplit des miracles. Mais à la fin, le Christ quitta le corps de Jésus, et Jésus (seul) souffrit et ressuscita ; le Christ cependant ne pouvait mourir puisque c’était un être spirituel. » (Gnosis, p. 165)

Les chercheurs modernes ne sachant que faire de telles idées leur ont donné le nom de docétisme (du grec : dokesis, apparaître), ce qui signifie dans ce cas que le Christ n’est venu qu’en apparence et n’a pas réellement connu la souffrance et la mort. Les gnostiques avaient une manière particulière d’expliquer pourquoi le Christ avait choisi cette forme de manifestation. Ils enseignaient que le monde inférieur des archons et des régents s’était arrangé, au tout début de la création, pour capturer un peu de la lumière céleste et que c’était la tâche du Christ, en tant que Sauveur, de reprendre cette lumière et de la renvoyer dans les sphères supérieures. Les gnostiques prétendaient qu’il en fut capable parce qu’en se dissimulant dans le corps de Jésus, il lui fut possible de duper les archons qui ignorèrent ainsi que le Christ appartenait à un ordre supérieur.

Sur l’adombrement
« Oui, ils m’ont vu ; ils m’ont puni. Ce fut un autre, leur père, qui but le fiel et le vinaigre ; ce ne fut pas moi. Ils me frappèrent avec le roseau ; ce fut un autre, Simon, qui porta la croix sur ses épaules. C’est sur un autre qu’ils posèrent la couronne d’épines. Mais je me moquais, là-haut, de la richesse des archons et du fruit de leurs erreurs, de leur gloire vide. Et je riais de leur ignorance. » (NHL-365/VII,2 56, 4-19)  [Extrait du Second Traité du Grand Seth]

« Et moi [Pierre], j’ai dit : « Que vois-je, O Seigneur, c’est vous qu’ils ont pris et vous m’agrippez ? et qui est celui-ci, heureux et riant dans un arbre ? est-ce un autre dont ils frappent les pieds et les mains ? » Le Sauveur m’a dit : « Celui que vous voyez dans l’arbre, heureux et riant, c’est Jésus vivant, mais celui dont ils clouent les mains et les pieds est sa partie charnelle, qui est l’être de substitution couvert de honte, celui qui a pris son apparence. » (NHL-3 »/VII, 3 81, 6-25) [Extrait de l’Apocalypse de Pierre]

Le sentier de l’initiation

Le thème principal de toutes les écritures gnostiques était la libération apportée par la mort et la résurrection du Christ. Ils leur donnaient un sens différent de celui d’expiation et de rédemption qu’y verra par la suite le christianisme. Pour eux, il s’agissait d’un exemple à suivre pour l’humanité. On trouve dans de nombreux textes des indications montrant qu’ils connaissaient les cinq initiations. Dans Trimorphic Protennoia, nous pouvons lire : « Ce sont les gloires supérieures à toute autre, c’est-à-dire [les Cinq] Sceaux marquant l’accomplissement de la vertu et de l’intelligence. Celui qui possède les cinq Sceaux de ces noms particuliers s’est débarrassé des vêtements de l’ignorance et s’est revêtu d’une lumière éclatante. Et rien ne lui apparaîtra de ce qui appartient aux puissances des archons. Pour cette sorte d’hommes, l’obscurité s’effacera et l’ignorance disparaîtra. » (NHL-521/XIII,1 49,25-35)

L’évangile de Philippe indique cinq étapes : « Le Seigneur a fait toute chose dans un mystère, un baptême, un chrisme, une eucharistie, une rédemption et une chambre nuptiale. » (NHL-150/II,3 67, 28-30) La chambre nuptiale était considérée comme l’étape finale de la rédemption, le mariage céleste entre l’initié et le Christ.

La Parole de Dieu

D’après H. P. Blavatsky, tout le processus de la création s’est fait au moyen du son, de la parole, du Verbe. Chaque lettre a une signification et une raison occultes. Les voyelles sont les plus puissantes et la combinaison vocalique OEAOHOO est « la ­racine septénaire dont tout procède » (Doctrine secrète I, pp. 46 et 72). Le Maître D. K. affirme que « la parole est l’une des clés qui ouvre les portes de communication entre les hommes et les êtres plus subtils. Elle donne la possibilité de découvrir ces entités avec lesquelles on prend contact de l’autre côté du voile[…] La magie consiste à s’adresser aux Dieux dans leur propre langage ; donc, la parole de l’homme ordinaire ne peut pas les atteindre. » (Traité sur le Feu cosmique, p. 827)

Les gnostiques doivent avoir expérimenté diverses formules magiques. Dans un certain nombre de leurs textes on trouve, en effet, de longues listes de sons phonétiques. Pour eux, le Christ était le Logos, le « Verbe » venu pour montrer comment triompher des forces élémentales infé­rieures du monde et les maitriser. Deux traités, L’Evangile des Egyptiens et Marsanes, ­accordent une attention particulière à la manifestation des pouvoirs créateurs.

La résurrection

Dans les premières années du christianisme, il y eut de longues discussions passionnées au sujet de la parousie ou seconde venue du Christ. Il existait une croyance largement répandue : celle de l’entrée prochaine de l’humanité dans une ère glorieuse qui commencerait lorsque le Christ reviendrait pour installer son royaume, récompenser les fidèles, punir les méchants et ramener à la vie physique ceux qui étaient morts pour leur foi en lui.

Les gnostiques ne partageaient pas ce genre de croyances. On ne trouve chez eux aucune allusion à la parousie, à un second avènement imminent ou à la résurrection physique. Leur point de vue sur la crucifixion était tout à fait différent de celui des autres groupes chrétiens, et il en allait de même pour ces concepts. La résurrection physique ne présentait aucun attrait pour eux parce qu’ils savaient que la véritable victoire était de transcender le corps physique et non pas de le retrouver après la mort. Pour eux, la résurrection était purement intérieure, et elle se produisait en vivant au quotidien les mystères enseignés par Jésus.

Le mythe de Sophia

A l’époque de l’Atlantide, la Hiérarchie spirituelle qui dirigeait les affaires terrestres travaillait au sein de l’humanité et l’instruisait dans les arts sacrés. Mais, lorsque cette civilisation s’effondra, déchirée par les conflits internes, la Hiérarchie se retira du monde extérieur et se mit à travailler dans les coulisses. Depuis lors, les anciennes vérités ont été communiquées aux masses sous forme d’allégories. Le mythe de Sophia est l’une d’entre elles. C’est le motif principal des ouvrages gnostiques. Sophia est le nom grec de la sagesse. Les gnostiques vénéraient ce mythe, car il symbolisait la gnose. La plupart de leurs écrits cosmologiques contenaient des variations sur cette allégorie. Et l’on peut en trouver l’équivalent dans bien d’autres traditions religieuses.

Nous allons tout d’abord retracer les grandes lignes de ce mythe, puis en proposer une explication ésotérique. Toute allégorie offre plusieurs niveaux de compréhension ; H. P. Blavatsky affirme qu’il existe sept clés permettant de dévoiler les secrets. Ce qui suit est proposé simplement comme une vue d’ensemble de ce mythe, abordé dans ses grandes lignes.

Sophia et le Démiurge

« Et lorsqu’elle vit [les conséquences de] son désir, ce dernier prit la forme d’un serpent à face de lion. Et ses yeux semblaient lancer des éclairs. Elle le rejeta au loin, afin qu’aucun des êtres immortels ne puissent le voir, car elle l’avait créé par ignorance. Et elle l’entoura d’un nuage lumineux et plaça un trône au milieu du nuage afin que nul ne puisse le voir, excepté l’Esprit saint qui est appelé la mère du vivant. Et elle lui donna le nom de Yaltabaoth.
« C’est le premier archon qui a tiré de sa mère un grand pouvoir[…] Et il est impie par l’arrogance qui est en lui. Car il dit : « Je suis Dieu et il n’existe pas d’autre Dieu que moi », car il ignore d’où lui vient sa puissance. » (L’Apocryphe de Jean, NHL-110/IV,1 10 :7-20)

Sophia-Achamoth est un esprit très élevé, une émanation (de même que son époux le Christ) de sa mère, la Sophia aînée. Ils vivent tous trois dans un monde spirituel, situé au-delà de la Terre et appelé le Plérome. En plongeant son regard dans le monde de la matière, la jeune Sophia y voit le reflet d’une lumière transparente. Mue par le désir de posséder cette lumière et d’en reproduire l’image, elle quitte son époux céleste, le Christ, et descend dans le monde de la matière. Là, elle se précipite, va et vient, essayant de donner vie aux éléments inertes et chaotiques. Finalement, elle se trouve enlisée dans la boue, incapable de s’en sortir. Néanmoins, par simple contact avec la matière, elle crée un être, une entité bizarre au visage de lion, qu’elle nomme Ildabaoth (ilda, enfant ; baoth, chaos). Lorsqu’elle voit l’être imparfait qu’elle a créé, elle réalise qu’elle a agi par ignorance. Elle s’échappe de l’espace inférieur et construit une solide barrière, un écran, entre le monde de l’esprit et celui de la matière. Ildabaoth est donc le « fils de l’ignorance » qui ne peut voir qu’il existe quelque chose au-dessus de lui.

Ildabaoth est ambitieux et fier mais, en dépit de ses nombreuses imperfections, il a capturé un peu de la pure lumière venant de sa mère Sophia-Achamoth. Dans son domaine, il engendre sept fils. Il déclare qu’il est le Dieu suprême, il exige que ses fils exécutent ses ordres et il exalte sa propre supériorité.

Etant très ambitieux, Ildabaoth décide de créer un homme d’après une image dont il a vu le reflet dans les eaux de l’espace. Il emploie les pouvoirs à sa disposition, mais la créature est ratée, elle est faible et ignorante et rampe sur le sol comme un ver. Aussi est-il obligé de demander l’aide de sa mère qui lui envoie une impulsion de lumière divine. Grâce à elle, l’homme s’anime et s’éveille à la vie.

Mais voyant que la nouvelle créature s’élève de plus en plus grâce à la lumière spirituelle émanant de Sophia, Ildabaoth devient fou de jalousie. Contemplant d’un regard courroucé l’abîme profond de la matière, il voit son image se refléter et alors surgit un serpent dont les yeux lancent des éclairs rouges. C’est Satan, l’Ophio­morphos (ayant la forme d’un serpent), une incarnation de l’envie et de la ruse. Après cela, Ildabaoth revêt ses créations (symbolisées par Adam et Eve) de boue afin de les maintenir plus fermement attachées à la Terre. Il construit pour elles le Jardin du Paradis, où il leur donne tout à profusion. Mais il leur interdit, sous peine de connaître la mort, de manger de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal.

Sophia-Achamoth, de son royaume supérieur, ne cesse de veiller sur l’humanité et de la protéger. Voyant le monde qu’Ilda­baoth a façonné, elle envoie son propre serpent, l’Ophis ou Agathodaemon (un instructeur divin) qui pousse Adam et Eve à goûter du fruit défendu de la connaissance. Bien qu’ils soient chassés du Jardin d’Eden et qu’ils doivent faire le dur apprentissage de la mort, la sagesse divine les accompagne dans toutes les épreuves de la vie terrestre.

Dans l’acte final, après avoir vu l’humanité traverser des éons de souffrance et de conflit, sans cesse poursuivie par la ruse d’Ildabaoth, Sophia-Achamoth supplie sa mère Sophia l’aînée, d’envoyer le Christ afin qu’il aide l’humanité à sortir de sa détresse. C’est grâce à sa crucifixion et à sa résurrection que le royaume de la matière est finalement vaincu et que le règne aveugle d’Ildabaoth prend fin. De son trône dans le ciel, le Christ continue à régner, rassemblant toutes les âmes qui, comme lui, ont triomphé, chacune d’elles ayant libéré une parcelle de lumière enfermée dans le royaume de la matière.

L’Evangile de Thomas
« Voici les paroles obscures que Jésus vivant prononça et que Didyme Jude Thomas a transcrites. Et il a dit : Quiconque trouve le sens de ces paroles ne connaîtra plus la mort. » (GS-380/1)
« Jésus a dit : Si vous exprimez ce qui est en vous, ce que vous exprimerez vous sauvera. Si vous n’exprimez pas ce qui est en vous, ce que vous n’exprimez pas vous détruira. » (Pagels-70)
« Jésus a dit : Les gens pensent sans doute que c’est la paix que je suis venu apporter sur le monde, et ils ne réalisent pas que ce sont les divisions – le feu, l’épée, la bataille. En vérité, s’ils sont cinq dans une maison, ils seront trois contre deux et deux contre trois, parents contre enfants et enfants contre parents. Et ils ne seront au repos qu’en restant solitaires. » (GS-383/16)
« Jésus a dit : Soyez des passants. » (GS- 387/II40 :19)
« Jésus a dit : Si deux personnes font la paix l’une avec l’autre, à l’intérieur d’une seule maison, elles pourront déplacer des montagnes. » (GS-389/48)
« Jésus a dit : Bénis soient ceux qui ont été persécutés dans leur cœur. C’est eux qui sont vraiment venus pour connaître le père. Bénis soient ceux qui ont soif de voir le ventre des nécessiteux satisfait. » (GS-392/69)
« Lorsque ses disciples lui ont demandé : « Quand le royaume va-t-il venir ? » Jésus a répondu : ce n’est pas en l’attendant qu’on le fera venir. On ne peut pas dire « Il est ici » ou « Il est là ». En vérité, le royaume de mon père s’étend sur toute la Terre et les gens ne le voient pas. » (GS-399/113)

La création de l’humanité

On peut considérer le mythe de Sophia comme une nouvelle manière de présenter les événements cosmologiques concernant la création, ou l’individualisation, du règne humain sur la Terre. La Sophia aînée est la force créatrice qui sous-tend notre univers solaire de 2e rayon d’amour-sagesse. Tout comme la tâche du système solaire précédent de 3e rayon était de développer la vie physique, celle du 2e rayon est de développer l’état mental qui nous mènera de la vie physique à une expression spirituelle plus élevée. La création de l’humanité est un élément clé de cette étape importante de l’évolution, étant donné que le règne humain est celui qui développe la qualité du mental ou manas, servant de pont entre le monde de la matière et celui de l’esprit.

Dans ce mythe, nous voyons une gamme de créateurs. La Sophia la moins élevée accomplit la volonté de la Sophia supérieure et le Christ sert d’intermédiaire entre les deux, mais chacun à sa manière exprime le 2e rayon, ou la lumière plus élevée qui essaie de naître.

Lorsque Sophia-Achamoth s’efforce d’accomplir son travail de création, elle ne peut reproduire qu’une créature d’un ordre inférieur, Ildabaoth, qui devient le créateur de notre monde physique. Les gnostiques déclarent qu’il est identique au Démiurge ou au Jéhovah de l’Ancien Testament. Lui et ses sept fils représentent l’ordre inférieur des créateurs matériels. Tout comme nous disons que la matière est aveugle, il en est de même, dans l’histoire, d’Ildabaoth (connu également sous le nom de Sakla, l’« aveugle »), parce que lorsque Sophia voit l’être imparfait qu’elle a fait naître, elle crée un voile, un « cercle infranchissable », qui empêche la créature de voir la lumière supérieure.

Ce qui apparaît dans cette allégorie est l’extraordinaire pouvoir qu’Ildabaoth croit posséder. Etant donné qu’il est aveugle aux royaumes supérieurs, il pense être le seul Dieu et il déclare avec arrogance (tout comme Jéhovah) : « Je suis le seul Dieu et il n’existe pas d’autre Dieu que moi. » Il représente, à titre personnel, notre propre étroitesse de vues, notre ignorance aveugle des royaumes supérieurs qui, lorsqu’on y accède, peuvent stimuler et éclairer tous nos efforts. Il représente aussi la résistance de l’évolution de l’ordre inférieur vers un ordre supérieur, la dualité et le « mal », sujet que nous avons abordé dans le passage intitulé « un système solaire de 2e rayon ».

Dans la Doctrine secrète, tome II, ­­Helena Blavatsky évoque la création d’un être humain. Son récit a des points communs avec celui d’Ildabaoth et de ses fils, des essais répétés qu’ils menèrent dans le but de façonner un être humain capable de se tenir debout et de penser.

Elle raconte une histoire identique à celle du mythe : les esprits créateurs inférieurs essaient à plusieurs reprises de façonner un être humain, mais ils échouent tous et l’entité est abandonnée, amorphe et rampant sur le sol comme un ver. Nous voyons donc que cette allégorie est le récit véridique d’un événement ancien. Elle raconte ensuite qu’il fallut l’intervention d’un ordre plus élevé de créatures pour donner vie à l’homme. Le Maître D. K. affirme que c’est l’énergie de Vénus, l’alterego de la Terre, qui a insufflé la qualité du mental, ou manas, dans le règne animal, il y a de cela 18,5 millions d’années, permettant ainsi l’évolution de l’être humain. Ceci représente une analogie avec l’action de Sophia qui a donné à l’homme sa lumière supérieure et l’a doté d’une âme.

Ildabaoth possède la tête d’un lion parce que, d’un point de vue astrologique, le Lion régit la crise de l’individualisation. C’est au cours de l’ère du Lion que l’humanité a franchi la première étape de son évolution au-delà du règne animal. Le lion, le serpent ou le serpent à tête de lion figurent dans de nombreux symboles gnostiques. Ces symboles représentent les débuts de l’humanité.

Nous constatons que les efforts de Sophia et d’Ildabaoth (l’esprit et la matière) sont également nécessaires pour façonner l’être humain. Ce n’est que grâce à des efforts conjugués, jalonnés d’échecs et de déconvenues, que toutes les hiérarchies créatrices sont capables de donner naissance à un être qui respire, qui marche et qui pense.

Afin de mieux percevoir l’importance de ces concepts, on se souviendra que le Maître D. K. et Mme Blavatsky nous ont souvent répété l’importance du mystère inhérent à l’humanité, celui de l’être divin au sein même de l’être charnel. En essayant de percer son secret, on peut trouver des réponses aux énigmes de la création.

L’éternel conflit que nous voyons exprimé dans les allégories anciennes est généralement personnifié dans un ou plusieurs personnages telles qu’Ildabaoth et Sophia, mais il s’agit, bien sûr, d’une représentation purement symbolique : ces personnages représentent les diverses énergies qui sous-tendent la manifestation. Le conflit est inhérent au schéma universel. A la fin, dit-on, lorsque le vaste plan du Dieu inconnu sera totalement accompli, l’harmonie règnera. Jusque-là, il nous faut percer les secrets de la dualité, car c’est cette mystérieuse énergie qui propulse l’évolution dans sa marche ascendante.

Le Jardin d’Eden

L’histoire allégorique du Jardin d’Eden et de la chute de l’homme reflète notre propre mythe de la Genèse. Bien que de nombreux chrétiens l’aient interprété comme l’illustration d’une imperfection inhérente à l’humanité, et peut-être de nature irrémédiable, H. P. Blavatsky raconte une histoire différente.

Le serpent est un double symbole, à la fois celui du bien et celui du mal. Tout d’abord, il apparaît comme un symbole du mal, créé en fait par Ildabaoth dans une explosion de jalousie et de colère. Nous voyons une fois de plus que la résistance de la forme ancienne qui refuse de se renouveler crée le mal dans le monde. Par la suite, dans le Jardin d’Eden, le serpent qui tente Eve apparaît en tant que symbole de la sagesse, aspect opposé de la dualité. C’est là précisément que H. P. Blavatsky nous ouvre un monde entièrement nouveau.

L’Arbre de la connaissance du bien et du mal, dit-elle, représente tous les Arhats, les Adeptes et les Maîtres de la Hiérarchie spirituelle qui ont enseigné à l’humanité tout ce qu’elle a appris depuis ses premiers pas hésitants sur le chemin de l’intelligence et de la conscience. L’ensemble des connaissances que l’humanité possède aujourd’hui n’est pas seulement le résultat du développement de son propre mental, il est aussi dû en grande partie à la stimulation apportée par la Hiérarchie au cours de nombreux cycles de l’évolution. A l’époque lémurienne, il y a des millions d’années, lorsque l’individualisation eut lieu, la Hiérarchie spirituelle stimula le règne animal et lui donna une âme afin qu’il donne naissance à l’humanité. Plus tard, à l’époque atlante, le processus d’initiation fut mis en place. La Hiérarchie apporta une nouvelle stimulation afin d’accélérer l’entrée de l’humanité dans le règne spirituel. Mais tout ceci n’a pu se réaliser de manière parfaite et sans en payer le prix.

Le Jardin d’Eden représente la vie matérielle facile, la vie insouciante et instinctive des formes inférieures. Le serpent de la dualité représente la montée vers l’étape de croissance suivante, lorsque l’homme animal, nanti d’une âme, développe le mental et entre dans l’étape la plus difficile du voyage de l’évolution. Quand Adam et Eve ont « succombé » à la tentation, ils ont « désobéi » à la loi inférieure du monde physique afin de répondre à une loi plus élevée de croissance spirituelle. La stimulation de la Hiérarchie et l’étincelle de l’âme reçue par Adam et Eve leur donnèrent la possibilité de recevoir la connaissance supérieure qui les guiderait vers le royaume de l’esprit.

Telle est l’histoire du règne humain. Il est pris, pour ainsi dire, entre les séductions de l’esprit et celles de la matière, ne sachant souvent quelle voix écouter. Il est encore profondément attaché à son évolution passée dans les mondes inférieurs, mais une voix venant des règnes supérieurs l’appelle vers le haut. C’est pourquoi l’humanité est tellement tiraillée par les forces contraires de la dualité.

Le sentier du progrès passe par la voie du milieu, entre les forces opposées. La seule façon d’y parvenir est de s’embarquer pour le long voyage de l’évolution humaine, en acceptant de s’ouvrir à toutes les épreuves : la douleur, le chagrin et la mort de la vie terrestre. C’est une phase que chaque règne de la création doit traverser et c’est la seule manière d’accéder aux règnes supérieurs, car rien ne s’acquiert sans mérite. Toute entité doit se frayer son propre chemin et gagner le droit de progresser sur le sentier de l’évolution. Sans cette règle éternelle, le voyage de l’évolution n’aurait aucun sens.

Lorsqu’Adam et Eve, symbolisant l’humanité, quittèrent le Jardin d’Eden, ils le firent de leur plein gré, abandonnant le confort d’une forme d’existence connue pour un avenir incertain et probablement rempli d’embûches. Si l’on en croit Helena Blavatsky, ils ne furent pas chassés pour une action honteuse. Au contraire, il s’agit purement et simplement du parcours du héros. C’est un long travail de rédemption, symbolisé dans sa dernière partie par le long chemin de l’initiation. Sophia persuade sa mère d’envoyer le Christ, son frère « dans la lumière supérieure », comme intermédiaire pour le dernier stade du voyage humain. Il est le « Fils », le Rédempteur de la création physique. Dans tous les mythes concernant le Fils de Dieu, nous le voyons agir comme un lien entre le haut et le bas.

Ce que nous avons souvent du mal à réaliser, c’est que chaque être humain est lui-même un lien semblable. Dans leur profonde compréhension de cette idée, les gnostiques ne présentaient pas tant Jésus comme un sauveur, que comme quelqu’un qui lance un appel à l’humanité afin de la réveiller d’un long sommeil et de lui rappeler sa mission divine. Il montre la voie par son sacrifice : la crucifixion et la résurrection. Il nous sert de modèle pour le renoncement final à la matière et la naissance dans le monde de la Hiérarchie spirituelle.

Un joyau de grand prix

On attribue un ensemble de textes à saint Didyme Jude Thomas, apôtre d’Orient, qui a voyagé en Syrie, en Mésopotamie et en Inde. On a dit qu’il était le frère jumeau ou le double de Jésus. « Didyme » signifie « jumeau » en grec et « thomas » signifie « jumeau » en syriaque. Dans la tradition ancienne, cette désignation de jumeau n’indique pas nécessairement un lien de parenté physique, mais peut suggérer l’idée d’une relation de Maître à disciple.

Une partie de l’œuvre littéraire de Thomas a survécu jusqu’à l’époque moderne. On n‘y trouve guère les figures cosmo­logiques et le dualisme extrême des autres ouvrages gnostiques. Cette œuvre est connue pour le caractère élevé de sa pensée, la pureté de son expression et la noblesse de son éthique. On y trouve peu de spéculations sur la vie dans l’au-delà, mais simplement l’idée que le royaume de Dieu peut se réaliser et se vivre ici-bas, qu’il est accessible à tous. Benjamin Creme affirme que l’ouvrage intitulé l’Evangile de Thomas, est un compte-rendu plus ou moins exact des actes (si ce n’est des paroles) de Jésus. (La Mission de Maitreya, tome 1)

L’Hymne de la Perle

L’Hymne de la Perle fait partie de la tradition de Thomas et c’est l’un des plus poétiques et des plus mystiques de tous les ouvrages gnostiques. C’est l’histoire du séjour du Divin Pèlerin sur le plan terrestre.

Le héros en est un jeune prince à qui ses parents, la reine et le roi, demandent de se rendre en terre d’Egypte. Là-bas, il trouvera, disent-ils, un précieux joyau, une perle d’un éclat hors du commun. Elle est, cependant, gardée par un terrible dragon. Le prince doit en quelque sorte charmer le dragon afin de récupérer le joyau sacré.

En quittant le palais de sa terre natale, le jeune prince doit laisser derrière lui ses magnifiques vêtements, une robe de prince éclatante et couverte de joyaux, revêtir une robe toute simple, puis se mettre en route. Une fois arrivé en Egypte, il prend soin de se vêtir à la manière des habitants, mais on s’aperçoit qu’il est étranger et on lui donne de la nourriture avariée. Il tombe dans un profond sommeil et oublie tout.

Les parents du prince, en apprenant ses mésaventures, envoient un messager porteur d’une lettre lui rappelant son origine noble et la tâche qu’il a promis d’accomplir. Il s’éveille et prend connaissance de la lettre. Encouragé par ce message, il se souvient du dragon et, dans un acte de bravoure, il s’empare de la précieuse perle. Ayant accompli sa mission, il retourne chez lui. Son ancienne vie lui paraît bien loin, car il n’était qu’un enfant lorsqu’il est parti. Mais lorsque ses parents célèbrent son retour dans la joie et la magnificence et qu’il retrouve sa robe couverte de pierreries, il se souvient de tout ce qu’il avait oublié.

« Dès l’instant où je contemplai la robe, il me sembla soudain qu’elle me renvoyait mon image : je me voyais entièrement en elle et je la voyais entièrement en moi-même, si bien que nous étions tous deux séparés et cependant réunis dans l’unité de nos formes[…] Et l’image du Roi des rois la recouvrait entièrement.

« Une fois que je l’eus revêtue, je m’élevai dans le royaume de paix appartenant à un monde d’une majestueuse splendeur. Et j’inclinai la tête et me prosternai devant la splendeur du père qui me l’avait envoyée. Car c’était moi qui avais accompli ses ­ordres, et lui, il avait tenu sa promesse. Et je me joignis aux autres à la porte de son antique demeure royale. Il fut heureux de ma présence et m’accueillit dans son palais. » (The Gnostic Scriptures, 374-5/77, 78, 86, 98-102)

Le Divin Pèlerin

D’après la tradition ésotérique, c’est la Monade, l’étincelle divine, qui informe l’entité humaine. Etant donné qu’elle est de nature trop spirituelle pour s’impliquer dans les événements qui se déroulent sur le plan physique, elle utilise l’âme pour communiquer avec la personnalité inférieure. Elle est connue comme l’Eternel Pèlerin qui attend et qui veille pendant les éons de l’évolution tandis que la personnalité inférieure se purifie progressivement. Lorsque l’âme est consumée, au moment de la 4e initiation, la personnalité inférieure peut finalement entrer directement en contact avec la Monade.

Dans l’Hymne de la Perle, le père et la mère peuvent être considérés comme le Logos solaire, l’entité la plus élevée qui soutient le plan d’évolution de notre système. Le jeune prince peut être considéré comme la Monade. Abandonnant les habits de son rang élevé, il revêt ceux de l’homme ordinaire (la personnalité inférieure), et il s’embarque pour un long voyage solitaire, endurant les pénibles épreuves de la vie terrestre. La perle, dans l’Antiquité, était le symbole de l’âme, le lien entre la Monade et l’homme. Le voyage de l’homme inférieur a pour but de trouver l’âme (la perle), qui le relie à son moi véritable et princier, la Monade. Aux prises avec les défis de la vie sur le plan physique, il oublie parfois sa naissance royale. Mais lorsqu’il s’éveille et se rappelle qui il est, il dérobe la perle précieuse au terrible dragon (le serpent de la matière ou du mal). Puis il retourne triomphant dans le royaume de son père, rejetant les vieux vêtements de la personnalité inférieure, matérielle, et réclamant l’héritage qui lui revient de droit : l’habit princier ou corps spirituel.

Les gnostiques appelleraient cela reprendre la lumière captive, racheter le royaume de la matière, comme Adam et Eve faisant face aux terribles défis de l’inconnu lorsqu’ils quittèrent le Paradis. Le voyage de l’évolution est d’une longueur interminable et le cycle humain particulièrement voilé de brouillard et d’oubli. Mais, si longues que soient les années, nous sommes assurés de la victoire finale. La lumière captive sera libérée : le Pèlerin triomphant retrouvera la maison de ses parents. Le terme du voyage est connu, dans les livres sacrés, comme le grand jour « Sois avec nous », le jour de la fin du cycle de manifestation, lorsque tous seront à nouveau réunis dans l’étreinte du Dieu unique et inconnu et goûteront un moment de repos jusqu’à ce que commence un autre grand cycle de manifestation.


Le « triomphe » du christianisme

Hélas ! hélas ! Combien peu la divine semence, semée à profusion par la main du doux philosophe de Judée, a-t-elle pris racine et porté son fruit ! Si celui qui a fui l’hypocrisie, qui a mis en garde contre la prière publique, montrant un grand mépris pour toute démonstration de ce genre, pouvait jeter un regard attristé sur cette Terre, depuis les régions de l’éternelle félicité, il verrait que cette semence n’est tombée ni sur les rochers stériles ni sur le bord du chemin, elle prit racine dans le plus prolifique des sols ; un terrain enrichi à l’excès de mensonges et de sang humain ! (ID III, p. 340)1

Le « triomphe » du christianisme ne peut être séparé de l’influence politique de l’Empire romain. Lorsque l’empereur Constantin déclara que le christianisme devenait l’unique religion officielle, l’une de ses motivations était certainement de réunir les parties disparates d’un empire qui s’affaiblissait. Ce qui suivit peut, dans une large mesure, être considéré comme une alliance entre l’Eglise et l’Etat : les dirigeants de l’Eglise devinrent les véritables monarques et Constantin devint un « saint ». Et les effets de cette alliance se feront sentir dans le monde entier.

Mais, avant d’être officiellement reconnue, l’Eglise avait déjà commencé à adopter les traits caractéristiques de Rome : un admirable génie pour l’organisation politique et la loi, et une approche assez vague des idéaux religieux. Le géant romain qui s’était montré si habile à forger un royaume n’était qu’un enfant balbutiant face aux subtilités de la philosophie. Aussi, le principal sujet de préoccupation de ceux qui dirigeaient l’Eglise devint non pas la théologie, mais l’élimination des éléments qui faisaient obstacle au pouvoir absolu.

La première chose à disparaître fut la diversité, la vie du mouvement originel. Vers la fin du Ier siècle, les théologiens de l’Eglise, Ignace d’Antioche et Clément de Rome, commencèrent à systématiser et à contrôler les enseignements des différents groupes, dans l’idée de les faire dépendre d’une fédération centrale, dirigée par les évêques. Pour justifier une telle centralisation, la volonté de l’évêque commença à être assimilée à la volonté de Dieu.

En conséquence, Dieu devint accessible à la seule hiérarchie et non aux individus. La morale que Jésus avait enseignée commença à paraître abstraite lorsque Ignace émit l’idée que la croyance aux événements historiques de sa vie suffisait au salut.

Alors que les gnostiques étaient déterminés à aller au-delà de ce qu’ils considéraient comme la vision étroite de l’Ancien Testament, l’orthodoxie maintint une affiliation avec ce livre, mettant tout particulièrement l’accent sur les livres prophétiques où elle trouvait la preuve que Jésus était bien le Messie. L’apologiste chrétien Justin le Martyre (100-165) décréta que la vie de Jésus apportait la révélation finale à l’humanité et il déclara qu’il n’y aurait plus d’autre prophétie ni d’autre révélation. Ainsi se perdit l’idée de participation personnelle aux mystères, ainsi que celle du retour cyclique des avatars.

Irénée et ses successeurs séparèrent encore davantage Jésus du monde en le déclarant égal à Dieu, le créateur de toute chose. Ils commencèrent à répandre la doctrine insidieuse d’une humanité déchue, dépourvue de toute étincelle divine à cause du péché d’Adam et Eve. Eve fut présentée comme la tentatrice féminine ; ainsi commença l’avilissement de la femme et de la fonction sexuelle.

J. Macchio affirme qu’Irénée décida seul de rejeter l’idée du Dieu inconnu, des émanations et de la divinité inhérente à chaque individu. Il enseigna que, puisque la « chute » originelle de l’humanité était due à un acte de désobéissance, le salut ne pouvait être gagné que par l’adhésion à la loi. Cette loi n’était accessible que par l’intermédiaire de l’Eglise. Toute autre voie signifiait la damnation éternelle. Ainsi, les fidèles chrétiens étaient forcés de se considérer comme d’humbles subordonnés, dépourvus à la fois de toute estime personnelle et de tout espoir d’influer sur leur propre destinée.

La dernière dépréciation vint d’Augustin d’Hippone (354-430). Sa doctrine du péché originel arracha les derniers lambeaux de dignité qui avaient été laissés aux croyants chrétiens. C’est à lui que nous devons les doctrines de l’enfer éternel, de la damnation des enfants, de la prédestination, ainsi que la suppression du libre arbitre.

Les débats de ces derniers apologistes furent rarement menés dans un esprit d’échanges scolastiques. Ils étaient empreints de haine, s’attaquant aux personnes par tous les moyens, y compris la diffamation, ce qui présageait peut-être de la future cruauté de l’Eglise : l’inquisition et les croisades. Le gnosticisme devint l’une des premières cibles et, vers la fin du IIe siècle, son influence commença à décliner.

En 325, l’orthodoxie romaine fut scellée de deux manières. Constantin déclara que le christianisme était la seule religion officielle, et le Concile de Nicée affirma que Jésus était identique au seul et unique Dieu de l’univers. Ainsi fut créé un abîme éternel entre le monde de Dieu et celui des hommes. L’humanité ne pouvait désormais qu’observer passivement les mystères divins. Les voix dissidentes furent encore tolérées pendant quelque temps, mais en 381, l’empereur Théodose 1er reconnut officiellement une seule branche du catholicisme. Ceci ouvrit la porte à des sanctions encore plus grandes, y compris à la violence, contre les gnostiques et les non-chrétiens.

Dans son zèle d’établir une autorité absolue, l’Eglise romaine s’attaqua avec la même vigueur aux manifestations de ce qu’elle qualifiait de religions païennes. Elle se mit à saccager les anciens temples et les monuments. Lorsqu’elle commença à s’attaquer aux systèmes purement philosophiques et scientifiques, la bibliothèque d’Alexandrie, où étaient rassemblés les plus grands ouvrages d’Orient, fut totalement incendiée.

C’est ainsi que l’Eglise établit sa suprématie. L’Empire romain, qui était né sur les rives du Tibre, 1 000 ans auparavant, étendit son emprise brutale sur le futur, en devenant par la suite le Saint Empire romain, dirigé à la fois par le pape et par le suzerain. Il fallut tout le génie militaire d’un Napoléon pour mettre un terme à ce déplorable mariage de l’Eglise et de l’Etat. En 1798, le général Berthier entra dans Rome, emprisonna le pape et décréta que désormais aucun pape ne pourrait gouverner le monde séculier.

Après la chute

Nous ignorons combien de sectes gnostiques ont survécu en secret après le triomphe du christianisme orthodoxe. Le prophète persan Mani (215-277) fut l’inspirateur d’une secte plus tardive, celle des Manichéens, qui survécut au grand jour jusqu’au XIIIe siècle. A son époque, en dépit des persécutions nombreuses et sanglantes, elle rivalisa avec le christianisme par le nombre de ses adhérents.

Les Mendéens d’Iran et d’Irak, qui affirment descendre en ligne directe de Jean-Baptiste, pratiquent aujourd’hui une certaine forme du gnosticisme. H. P. Blavatsky affirme également que les Druses du Mont Liban sont des descendants des gnostiques. (ID chapitre VII, p. 325)

En partant d’un point de vue psychologique, Carl Jung a contribué au regain d’intérêt pour la pensée gnostique. En affirmant qu’il avait toujours eu une grande affinité avec leurs idées, il a incité d’autres auteurs à considérer les textes anciens avec un œil nouveau.

Le grand intérêt des écritures gnostiques est qu’elles nous permettent de découvrir une forme de christianisme qui, même à son époque, n’a guère vu la lumière du jour. Elles apportent une réponse à l’inquiétude des chrétiens modernes qui s’interrogent sur la vision de Jésus qu’on leur a présentée, sur sa place dans l’Histoire, le but de sa vie et le sens de son message à notre époque.

Les manuscrits de Nag Hammadi et les rouleaux de la mer Morte sont comme des capsules inestimables qui ont traversé le temps et qui ont été découvertes longtemps après que la civilisation qui les a vu naître soit retombée en poussière. Ces textes expriment les pensées, inédites et pures, d’individus qui ont vécu à une époque particulièrement significative de l’Histoire, qui ont participé à des événements d’une importance considérable pour l’évolution de la race humaine.

Le Christ lui-même savait probablement que la vision qu’il offrait ne serait pas facile à mettre en œuvre, que la paix qu’il s’efforçait d’apporter ne serait guère gagnée qu’après des siècles de lutte. Les instructeurs gnostiques le pressentaient aussi, cependant, pour eux le feu ne s’éteignit jamais ; ils abritèrent sa flamme dans l’obscurité de la nuit, préservant son éclat pour une aube future où elle pourrait briller de nouveau.

Tournant le dos à un monde d’agitation et de bruit, rejetant la renommée, les faveurs et les séductions humaines, ils suivirent la voie de leur guide vénéré et entrèrent dans un royaume de pure abstraction. Peu leur importaient les honneurs, leur seul but était d’agir, d’exprimer la vérité qui enflammait leur cœur. Ils n’accordaient pas la moindre importance à ce que l’Histoire retiendrait d’eux ou à la manière dont ils seraient récompensés, ils savaient que la croix et la couronne apportent la même gloire.

Ils étaient les véritables héritiers de l’enseignement de Jésus et leurs écrits nous montrent combien leur pensée était sublime, et ardente l’aspiration qui enflammait leur cœur. Ils représentaient le véritable christianisme, celui que nos érudits et nos penseurs avaient essayé en vain de retrouver. Il est présent dans ces écritures, qui nous parlent aujourd’hui dans une langue empreinte d’une beauté et d’une grâce ancienne, et qui nous révèlent toute l’importance de cette époque capitale, nous permettant de retrouver un héritage perdu, enfoui dans la terre, pendant mille cinq cents ans d’obscurité et de silence.

1. Pour certains passages de cet article, l’auteur est redevable à Joseph Macchio, auteur de The Christian Conspiracy (la Conspiration chrétienne), dont le brillant ouvrage retrace, pas à pas, la destruction du gnosticisme et des doctrines ésotériques par l’Eglise romaine.

Sources
Les traductions de manuscrits proviennent de deux sources (les références indiquent le livre et la page, puis le numéro de codex, le traité, la page et la ligne) :
Robinson, James : The Nag Hammadi Library (NHL)
Layton, Bentley : The Gnostic Scriptures (GS).
Les informations ésotériques sont tirées des ouvrages suivants :
Helena Blavatsky : La Doctrine secrète (DS) ; Isis dévoilée III (ID III)
Partage international : (PI)
Benjamin Creme : La Mission de Maitreya, tome II, (MM II)
Alice A. Bailey : Traité sur le Feu cosmique (TCF)
Autres ouvrages conseillés
Hoeller, Stephan : Jung and the Lost Gospels
Jonas, Hans : The Gnostic religion
Macchio, Joseph : The Christian Conspiracy (disponible sur Internet : http ://www.newhopeent.com/#top).
Mead G.R.S. : Fragments of a Faith Forgotten. Pagels, Elaine : The Gnostic Gospels
Rudolph, Kurt : Gnosis

Auteur : Bette Stockbauer, journaliste freelance associée avec Share International, basée à Red Rock, Texas (Etats-Unis).
Thématiques : religions, spiritualité
Rubrique : Dossier ()